01/01/2019
Europe

Brexit : les collectivités et les entreprises redoutent l'impact économique

Négocié ou non, le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, fin mars, aura des conséquences, notamment sur le commerce et le tourisme.

La forme exacte que prendra le Brexit, qui sera effectif le 29 mars prochain, n'est toujours pas connue.
Une épicerie tenue par un britannique à Gorron en Bretagne qui risque de fermer, les ports de Calais ou Dunkerque qui devront investir des millions d’euros dans les équipements douaniers…, les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sont multiples. Le Brexit sera effectif le 29 mars 2019, au terme d’un accord négocié longuement avec Bruxelles que le Premier ministre britannique peine cependant à faire valider par le Parlement anglais. Les collectivités territoriales et régionales françaises concernées tentent néanmoins de se mobiliser pour anticiper son impact. 

L’Assemblée nationale a adopté, le 11 décembre, le projet de loi d’habilitation qui permettra au gouvernement de légiférer par ordonnance pour faire face aux conséquences du Brexit. Une intervention qui sera cruciale en cas de Brexit « dur », si l’accord conclu entre la Commission européenne et les autorités britanniques n’est pas ratifié par le Parlement britannique. « À ce stade, nous sommes dans une période d’évaluation, dans la mesure où la forme exacte que prendra le Brexit n’est pas entièrement connue », constate Forough Salami-Dadkhah, conseillère régionale de Bretagne pour les questions européennes et internationales. Comme d’autres régions concernées, de l’Occitanie aux Hauts-de-France, la Bretagne a amorcé une démarche de sensibilisation auprès des entreprises et rencontre les autorités européennes et le coordinateur français, Vincent Pourquery de Boisserin, nommé par le Premier ministre, en octobre, pour gérer les conséquences du Brexit sur les ports français. À des degrés divers, ces régions seront affectées essentiellement dans cinq secteurs.

Résidents britanniques. Sur les quelque 150 000 Britanniques vivant en France, 39 000 ont choisi de s’établir en Nouvelle-Aquitaine. Viennent ensuite l’Occitanie (17 %) et l’Île-de-France (13 %). En Bretagne, beaucoup des 14 000 résidents britanniques « ont choisi de vivre dans des zones rurales, contribuant à leur revitalisation, remarque Forough Salami-Dadkhah. Ils sont très impliqués dans les associations et contribuent au maintien de services publics. » L’accord négocié entre la Commission européenne et les autorités britanniques préserverait les droits des résidents déjà installés en matière de santé, de retraite ou d’accès à l’éducation. En cas de Brexit « dur » en revanche, les ordonnances du gouvernement devront préciser ces dispositions. Dans l’immédiat, c’est surtout la dévaluation de la livre sterling qui risque d’avoir un impact sur les résidents britanniques, signale un rapport du Conseil économique social et environnemental régional de Bretagne. Selon la banque centrale britannique, un Brexit « dur » pourrait entraîner un effondrement de cette monnaie de 25 %.
Pêche. Le retrait britannique risque d’affecter 30 % des captures des pêcheurs français et même 50 % en Bretagne et 75 % pour les Hauts-de-France, évalue le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. En Vendée, « 30 % des droits de pêche sont dans les eaux britanniques », note Marc Joulaud, eurodéputé de l’Ouest (lire ci-contre). Or, Londres compte désormais mettre en avant «l’intérêt des pêcheurs britanniques » qui, en 2016, ont voté à 92 % en faveur du Brexit. À l’inverse, la dévaluation de la livre sterling risque de jouer contre les exportations françaises au Royaume-Uni.

Installations portuaires. « Dur » ou « soft », le divorce avec le Royaume-Uni entraînera davantage de contrôles douaniers et phytosanitaires. Or, tous les ports français ne sont pas équipés. En Bretagne, Brest est plus avancé que Saint-Malo ou Roscoff, équipées pour l’inspection des végétaux mais pas pour être un point d’entrée communautaire. 
Partout, régions, communes et le coordinateur gouvernemental charger de gérer les conséquences du Brexit sur les ports et territoires français réfléchissent aux zones disponibles pour installer des points de contrôle. Outre ces espaces nécessaires, «les moyens financiers et humains manquent », souligne la sénatrice des Côtes-d’Armor, Christine Prunaud. Le préfet des Hauts-de-France, Michel Lalande, s’est inquiété de ce manque de moyens dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur. Dès l’entrée en vigueur du Brexit le 29 mars 2019, « la durée moyenne de contrôle sera doublée, avec une répercussion sur la fluidité des points de passage frontière » à Calais, Dunkerque, Coquelles et à la gare de Lille-Europe, a-t-il prévenu. Il faudrait, selon lui, créer 250 nouveaux postes dans la police des frontières. Les seuls ports de Dunkerque et de Calais auraient besoin de 195 nouveaux agents. Au total, les moyens nécessaires en Normandie sont estimés entre 20 et 30 Me dans le cas d’un Brexit « dur ». 

Liaisons maritimes. Les ports français se sont également mobilisés contre le projet de la Commission européenne de réorienter le corridor maritime mer du Nord-Méditerranée, afin de rediriger vers Anvers et Rotterdam les flux de marchandise en provenance d’Irlande, qui transitaient jusque-là par l’Angleterre. Objectif : utiliser les ports déjà équipés pour les contrôles de marchandise et de personnes. « Il y a eu beaucoup de confusion sur le sujet, estime  Forough Salami-Dadkhah. Pour modifier la route, il faudrait déjà qu’il y ait une demande de l’Irlande, ce qui n’est pas le cas. » Pour anticiper, la région Bretagne poursuit en tout cas les contacts avec les Irlandais.
À première vue, Calais et Dunkerque pourront sans doute tirer leur épingle du jeu. Ce sera plus difficile ailleurs. De fait, le Sénat a adopté, le 30 novembre, une résolution demandant une dotation budgétaire européenne pour que les ports français de Brest, Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg, Caen-Ouistreham, Dieppe, Le Havre, Rouen, Calais et Dunkerque puissent accueillir le fret destiné ou en provenance de l’Irlande. « L’évo-lution est inéluctable, même si l’échéance précise reste incertaine », note le Sénat.
Aéroports et tourisme. Les Britanniques représentent la première clientèle étrangère en Bretagne, 29 % des nuitées en Gironde, 19 % dans les Pyrénées-Atlantiques et 17 % en Charente-Maritime. Lors de son congrès, en novembre dernier, l’Union des aéroports français a alerté les pouvoirs publics sur les conséquences de ce tarissement pour les petits aéroports. Le marché britannique représente 90 % du trafic à Limoges, 80 % à Bergerac, 77 % à Grenoble et 58 % à Béziers… 
Malgré les impacts multiples du Brexit sur les collectivités et les acteurs économiques français, « la Commission européenne a adopté une attitude attentiste qui maintient le statu quo », alertent les eurodéputés français, Marc Joulaud, et néerlandais, Lambert van Nistelrooij, en réclamant un fonds d’aide européen (lire ci-dessus). Le Comité européen des régions a également adopté, en mai 2018, une résolution demandant un soutien aux autorités régionales et locales. En France, le gouvernement vient de créer un portail « se préparer au Brexit » (https://brexit.gouv.fr).
 

Trois questions à… Marc Joulaud, 
eurodéputé et maire de Sablé-sur-Sarthe (72)   
« Il faut anticiper l’impact du Brexit »
Vous défendrez, les 20 et 21 janvier, l’adoption d’un fonds pour aider les territoires à affronter l’impact du «Brexit ». Pourquoi ?
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne aura un impact sur les collectivités régionales et locales. Certains territoires qui n’étaient pas frontaliers vont le devenir avec l’installation de services douaniers. D’autres subiront un impact économique et commercial même sans être frontaliers. Partant de ce constat, nous proposons un fonds qui servira  «d’outil » pour réagir aux conséquences du Brexit sur la pêche, le tourisme ou le commerce. Il faut anticiper et non réagir au moment où les difficultés seront là.

Comment serait-il financé ?
Nous proposons un budget de 120 Me sur sept ans, indépendant des fonds régionaux. Dans les années 2000, un fonds similaire avait été créé par Michel Barnier, à l’époque commissaire à la politique régionale, pour soutenir les régions affectées par l’élargissement de l’Union européenne à l’Est.

Êtes-vous soutenu dans cette démarche ?
L’idée d’un tel fonds vient des organisations représentant les collectivités territoriales : le Comité européen des régions, la Conférence des régions périphériques et maritimes. Au sein de la commission régionale du Parlement européen, l’idée est soutenue par des députés des futurs «pays frontaliers » comme les Pays-Bas ou la Belgique. Il y a néanmoins un certain scepticisme au sein de l’ensemble du Parlement. La Commission européenne pense que la politique de cohésion est suffisamment souple pour s’adapter à ces circonstances et qu’il n’est pas nécessaire de créer un fonds spécifique. Nous disons qu’il faut donner un signal fort aux électeurs avant les Européennes de mai 2019. 
Les conseillers britanniques restent élus jusqu’en 2020
Les 900 conseillers municipaux de nationalité britannique élus en 2014 devraient rester en place jusqu’à la fin de leur mandat, ont indiqué le président du Sénat, Gérard Larcher, et celui de la commission des affaires européennes du Sénat, Jean Bizet, dans un courrier adressé fin novembre à François Baroin, président de l’AMF. Selon les informations données aux sénateurs par le gouvernement, les dispositions du Code électoral concernant la démission d’office des «individus privés de droit électoral » ne concernent que les conseillers municipaux condamnés au pénal. Donc, «aucune disposition organique » ne prévoyant le cas du Brexit, «les ressortissants britanniques élus en 2014 conserveront leur mandat municipal jusqu’aux élections de 2020 ». Ils ne pourront pas, en revanche, se présenter aux élections municipales de 2020.
Nathalie STEIWER
n°364 - Janvier 2019