Interco et territoires
01/01/2019
Citoyenneté Intercommunalité

Les conseils de développement sont encore en quête de légitimité

Depuis bientôt vingt ans, ces instances de consultation offrent aux élus une expertise citoyenne. Pourtant, elles restent rares, peu connues et sous-exploitées.

Selon la ministre Jacqueline Gourault, les conseils sont « un thermomètre précieux au sein des territoires ».
Un thermomètre précieux au plus près des territoires » : c’est ainsi que Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (1), définissait les conseils de développement à l’occasion de leurs rencontres nationales qui se sont tenues les 11 et 12 octobre derniers, à Sète (Hérault). Créés par la loi Voynet de 1999, les conseils de développement (Codev) sont des assemblées constituées de personnes bénévoles issues de la société civile, désireuses d’offrir une expertise citoyenne sur les politiques locales. Les Codev, qui bénéficient d’un cadre juridique très souple (lire ci-contre), engagent leurs travaux sur saisine de la collectivité territoriale dont ils dépendent ou bien s’autosaisissent. À l’écoute de ce que l’on nomme les «signaux faibles de la société », ces instances de démocratie participative entendent animer le débat public territorial et jouer un rôle actif en tant que laboratoire d’idées.
Mais leurs rencontres nationales, à Sète, ont permis de dresser un bilan parfois mitigé de ces conseils. « On compte environ 200 Codev alors qu’il devrait y en avoir entre 500 et 700. Certains élus sont en effet peu motivés ou bien absorbés par d’autres priorités, et reculent le moment de créer cet outil », déplore Yves Londechamp, co-président de la Coordination nationale des conseils de développement (CNCD). « Dans le cas de figure le plus ­fréquent, explique-t-il, les Codev réunissent entre 80 et 100 membres et bénéficient d’un équivalent temps plein. » Leurs missions se concentrent souvent sur les documents de planification territoriale (SCoT, PLUi, PLHi…). « Tous les Codev sont des lieux privilégiés pour le dialogue et l’identification de projets », insiste Yves Londechamp.

Travail sur les circuits courts dans l’Hérault
Quels sont les apports des conseils de développement aux politiques publiques ainsi qu’aux projets développés sur un territoire ? Le Codev du Pays Cœur d’Hérault, qui réunit 3 communautés de communes et 77 communes, s’est vu déléguer la mise en œuvre de la concertation sur le SCOT ainsi que la réflexion autour du plan climat-air-énergie territorial. « Des représentants du Codev participent à chacune des commissions du Pays Cœur d’Hérault. Ils bénéficient d’une grande proximité avec les techniciens et les chargés de mission du Pays qui leur apportent leur soutien logistique et leur expertise », détaille Bernard Fabreguettes, élu à la communauté de communes du Clermontais et à Pays Cœur d’Hérault, également chargé de faire le lien entre les élus et le conseil de développement. Dans le cadre d’une auto-saisine, ce Codev est également en train d’organiser des États généraux de l’alimentation et de l’agriculture durable, prévus pour se tenir d’ici un an. « Les membres du conseil réfléchissent notamment à l’organisation de circuits courts ainsi qu’aux traitements chimiques utilisés dans le monde agricole et la viticulture, explique Bernard Fabreguettes. La Fondation de France a alloué au Codev une enveloppe d’environ 12 000 € dans le cadre de ce projet. »

Un cadre juridique souple
Faisant suite à la loi Voynet de 1999, qui a donné naissance aux Codev, la loi NOTRe de 2015 a déterminé leur cadre légal, ­complétant la loi MAPTAM de 2014. Les Codev doivent être mis en place dans les EPCI à fiscalité propre à partir de 20 000 hab., ainsi que dans les Pays et les PETR. Cette obligation s’accompagne d’une souplesse juridique qui ­permet aux EPCI d’adapter le profil de leur Codev au contexte local. Ainsi, la composition et le nombre de membres s’avèrent variables selon les territoires, de même que leurs modalités de désignation (appel à candidature, tirage au sort…). La loi n’impose pas non plus de statut juridique spécifique. Seul le principe de diversité des membres doit être respecté.

Une des caractéristiques des Codev repose sur leur variété, tant au niveau de leur forme que de leurs ressources, ou du contexte dans lequel ils interviennent. Variété aussi dans l’activité même de ces assemblées consultatives, comme le raconte Jean-Paul Guerquin : il préside le Codev de la communauté d’agglomération du Val de Fensch (Moselle), laquelle regroupe 10 communes et 70 000 habitants. «Depuis quinze ans, c’est mon troisième mandat au sein de ce Codev créé en 2003. Je suis en quelque sorte un ancien de la boutique », plaisante ce retraité de l’Éducation nationale. Fort de cette expérience, il estime que le travail des Codev tout comme leur efficacité dépendent beaucoup du président de l’EPCI. Lui-même en a côtoyé trois. «En fonction de ses demandes et de sa personnalité, c’est pour nous le jour ou la nuit, estime Jean-Paul Guerquin. Un président peut enterrer nos rapports et fermer les robinets financiers, ou bien le contraire. Le Codev peut être réduit à un simple “machin” ou devenir vraiment “un plus”. Ici, jusqu’à présent, tous nos rapports ont été pris en compte et mis en œuvre à 90 %. De plus, comme je connais tout le monde au sein des services de l’agglomération, j’accède très vite aux informations. » 
Porté par cette dynamique, le Codev du Val de Fensch, qui réunit actuellement une soixantaine de membres dont la moitié participe régulièrement aux commissions, n’hésite pas à s’impliquer. «Nous avons travaillé neuf mois sur le bien vieillir, expose Jean-Paul Guerquin. Notre projet était de dresser un état des lieux de la population vieillissante sur notre territoire. » 

L’appel de Sète
Après l’organisation d’un colloque réunissant tous les acteurs intervenant dans le secteur du troisième âge, le Codev a fait désigner dans chacune des 10 communes du territoire une personne référente sur le thème du bien vieillir. Puis il a initié une enquête de terrain directement auprès des anciens, afin de mieux cerner leurs besoins et leurs demandes. «Le rapport que nous avons établi à la suite de ce travail a été adopté au printemps dernier, raconte Jean-Paul Guerquin. Il préconise notamment d’accompagner les personnes âgées dans leur apprentissage informatique et leur utilisation d’internet. Nous avons aussi proposé de créer en ligne un portail senior afin de réunir toutes les informations qui leur sont utiles, notamment en matière d’animation. » Ces préconisations ont-elles été suivies d’effet ? Jean-Paul Guerquin reste prudent : « Jusqu’ici, nous avons encore du mal à mesurer les effets de ces conseils. » Une situation en demi-teinte qu’il explique par le jeu politique : «Les seniors représentent une population précieuse pour les maires. Les élus préfèrent donc que les décisions les concernant soient prises au niveau communal plutôt qu’intercommunal, afin de mieux bénéficier de leurs retombées. » Mais le Codev du Val de Fensch n’en restera pas là : il pense déjà à organiser, début 2019, un forum des anciens.
Pourtant, le risque est là, souligné par Yves Londechamp, de la CNCD : «Trop fréquemment, les Codev ne sont pas ou peu écoutés par les élus, ni exploités à la hauteur de leur valeur, car ils sont considérés comme un apport accessoire. Ou parce que leurs propositions ne sont pas en adéquation avec l’agenda des élus… » C’est l’une des raisons pour lesquelles la CNCD a profité des rencontres nationales pour lancer un appel (2) aux responsables politiques locaux à qui elle demande, s’ils ne l’ont pas fait, de créer leur Codev, puis de le doter de moyens suffisants et d’établir avec lui un dialogue constructif. Mais cet appel s’adresse aussi au gouvernement qui, selon la CNCD, devrait assurer «un cadre, tant financier qu’humain, qui permettra à tous les conseils de développement de fonctionner correctement ».


(1) À l’époque de cette déclaration, Jacqueline Gourault occupait le poste de ministre auprès du ministre d’État ministre de l’Intérieur.
(2) http://www.conseils-de-developpement.fr/ 2018/10/15/appel-de-sete/ 

Trois questions à...  
Olivier Bouba Olga,
économiste, professeur des universités en aménagement 
de l’espace et urbanisme, doyen de la Faculté de sciences économiques de l’université de Poitiers
Quels intérêts présentent les conseils de développement ?
La dynamique territoriale ne se concentre pas autour de quelques grandes métropoles qui seraient seules créatrices d’emplois et de richesses. Des potentialités existent à de nombreux endroits. Encore faut-il les repérer en ­prenant en compte la diversité des contextes territoriaux, et sortir de cette pseudo-concurrence entre petites villes et métropoles, pour se diriger vers davantage de collaboration. Dans ce cadre, les conseils de développement peuvent apporter leur pierre à l’édifice en produisant études et analyses, et en incitant les différents acteurs à se mettre autour de la table. 
Quels sont les principaux écueils auxquels se heurtent ces instances de consultation ?
Elles sont censées représenter la population. Mais dans la mesure où leurs membres sont bénévoles, les conseils de développement réunissent souvent beaucoup de retraités, ce qui peut poser problème en matière de représentativité de la société civile locale. Par ailleurs, si le maire ou le président de l’EPCI ne considère pas cet outil comme intéressant, il aura tendance à ne pas s’appuyer sur ses travaux. C’est dommage, car les conseils de développement peuvent éclairer l’action publique. 
La valeur ajoutée des conseils de développement est-elle plus marquée en milieu rural ? 
Je ne pense pas que leur valeur ajoutée dépende de la taille des territoires, ni de leur caractère urbain ou rural. Elle dépend avant tout de la volonté d’engagement de la société civile dans les «affaires de la cité », volonté qui dépend elle-même de l’écoute que lui portent, ou non, les élus.
Sarah FINGER
n°364 - Janvier 2019