Dans son rapport adopté à l’unanimité de ses membres, elle pointe les multiples suppressions d’impôts locaux depuis une dizaine d’années (taxe d’habitation, CVAE…).
Celles-ci «représentent un coût considérable pour les finances publiques : près de 35 milliards d’euros d’après la Cour des comptes », a souligné Thomas Dossus (Rhône), rapporteur de la commission d’enquête. Elles rompent le «lien contributif » entre les citoyens, les entreprises et leur territoire, et, en limitant le nombre de leviers fiscaux des collectivités, restreignent leur autonomie financière réelle.
Les mesures de compensation de ces réformes fiscales par l’État, jugées insuffisantes par les sénateurs, sont «illisibles et brouillent le paysage des finances locales ». Pire, l’État ne respecte pas sa parole en la matière, déplore la commission d’enquête, en rappelant que dès la loi de finances pour 2025, le gouvernement «est ainsi revenu sur un de ses engagements, la principale mesure d’économies touchant les collectivités territoriales étant un gel de la TVA versée à l’issue de diverses compensations, pour un impact estimé à 1,2 milliard d’euros ».
Les collectivités subissent «une double peine, analyse Thomas Dossus : l’État leur a retiré des leviers fiscaux et, aujourd’hui, il leur demande de participer à l’effort de redressement des finances publiques ! »
Dans ce contexte, alors qu’il était censé constituer un frein à la recentralisation financière et au recul de la fiscalité locale, le principe d’autonomie financière inscrit à l’article 72-2 de la Constitution «a été vidé de sa substance » notamment par la loi organique de 2004, estiment les sénateurs. En effet, «ont été artificiellement incluses dans la catégorie des «ressources propres» des collectivités des impositions sur lesquelles elles n’ont pas leur mot à dire et ne disposent d’aucun pouvoir de taux ou d’assiette ».
A cela s’ajoute «une jurisprudence constitutionnelle peu protectrice » de l’autonomie des collectivités. Non seulement «le juge constitutionnel s’est abstenu d’exiger que les transferts ou extensions de compétences fassent l’objet d’une compensation financière intégrale et actualisée », mais de plus, «le législateur a pu, au fil des réformes de la fiscalité locale, réduire de manière croissante et ininterrompue les marges de manœuvre fiscales et financières des collectivités, sans risquer la moindre censure de la part du Conseil constitutionnel, dont le contrôle s’est restreint à vérifier le respect de «ratios d’autonomie financière » que le Sénat juge «totalement déconnectés de la réalité ».
La commission d’enquête du Sénat appelle donc à «redonner un cadre protecteur » aux collectivités qui permettra de «rétablir la confiance entre les élus et l’Etat », particulièrement entamée aux dires des associations d'élus locaux auditionnées, et garantira «que les collectivités territoriales disposent de ressources propres suffisantes, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu’elles supportent ».
Les sénateurs proposent «d’inscrire à l’article 72-2 de la Constitution un principe d’autonomie fiscale, en prévoyant qu’une part significative des ressources des [collectivités] doit provenir d’impositions sur lesquelles celles-ci disposent d’un pouvoir de taux ou d’assiette».
Ils suggèrent aussi de leur garantir une «autonomie en dépense » qui consisterait à «identifier le montant des dépenses obligatoires (imposées par la loi) des collectivités et à leur garantir un niveau de ressources suffisant pour couvrir ces dépenses tout en disposant d’une marge de manœuvre pour financer des dépenses propres reflétant de réels choix en matière de financement des services publics locaux ».
Le Sénat recommande la mise en place d’une procédure de réexamen régulier du montant des compensations financières versées par l’Etat aux collectivités au titre des compétences transférées afin de préserver leurs marges de manœuvre financières «pour financer [leurs] dépenses propres ».
Il reviendrait à un «Conseil d’orientation des finances locales », créé en lieu et place «du Comité des finances locales et de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), de structurer les relations financières entre l’Etat et les collectivités, de «définir des trajectoires pluriannuelles » et d’« assurer le suivi de l’adéquation des recettes locales à l’évolution des charges des collectivités ». On voit mal à ce stade quelle serait la plus-value de ce nouvel organisme par rapport aux travaux du CFLet de l’OFGL, dont le président, André Laignel, a été auditionné.
La commission suggère une refonte de la fiscalité locale pour doter chaque niveau de collectivités de ressources adaptées à leurs compétences. S’agissant du bloc communal, elle reste floue sur la solution en égrenant quelques pistes (« restauration de la taxe d’habitation, imposition territorialisée sur le revenu, création d’un impôt forfaitaire local à la capitation… »).
En revanche, elle demande «une révision des valeurs locatives cadastrales (VLC) des locaux d’habitation » pour que la fiscalité foncière «puisse s’appuyer sur une assiette plus en phase avec la réalité économique du territoire».
Pour financer leurs dépenses sociales, les départements se verraient attribuer «une fraction de la contribution sociale généralisée, assortie d’un pouvoir de taux ». Les régions bénéficieraient «d’une fraction d’impôt sur les sociétés » et du produit de la CVAE que le Sénat propose de rétablir à leur bénéfice.
Les sénateurs soulignent enfin «le mur d’investissements colossal » que les collectivités doivent engager notamment dans la transition énergétique en estimant qu’elles «devront plus que doubler chaque année leur niveau actuel d’investissements climatiques à horizon 2030 ».
La commission demande à l’État de «sanctuariser un socle de dotations d’investissement » (DSIL, DETR, Fonds vert -dont elle pointe la baisse de «54 % entre 2024 et 2025 ») pour donner aux élus de la visibilité via «un engagement [financier] formalisé » dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE).
L’exécutif devrait aussi assortir les grands documents de planification - plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), stratégie nationale bas-carbone (SNBC)…- d’une évaluation des investissements locaux à réaliser en y associant les financements nécessaires.
Quel sera l'avenir de ces propositions ? Tout en concédant que beaucoup d'entre elles nécessitent un travail sur le long terme, le Sénat s'invite en tout cas au futur débat budgétaire en publiant son rapport à quelques jours des arbitrages que le Premier ministres doit présenter dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026.