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24/09/2025
Assurances Environnement Sécurité - sécurité civile

Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes) cherche assureur désespérement

Dévastée par la tempête Alex en 2020, la commune de Breil-sur-Roya (2 400 habitants, Alpes-Maritimes) est confrontée à un désengagement des assureurs.

La commune de Breil-sur-Roya (06), est parvenue à trouver un assureur pour 2025. Et a relancé un appel d'offres pour 2026, mais n'a reçu pour l'heure qu'une seule proposition.
Trait d’humour s’il en est, la mairie de Breil-sur-Roya décide le 1er janvier 2025 de prendre un arrêté visant à interdire... toute catastrophe naturelle ! Il est notamment stipulé que «pour le ruissellement des eaux, à l’origine des crues torrentielles, un itinéraire de déviation est proposé à l’extérieur du territoire de la commune ». Le second degré comme arme de dédramatisation et une manière de pointer du doigt l’absurdité de la situation : «C’était une façon de mettre en lumière les énormes difficultés rencontrées par les communes auprès de leurs assureurs », assure Sébastien Olharan, maire de la commune.

L’initiative va, au fil du temps, prendre une tout autre dimension. Les médias font leurs choux gras de l’arrêté iconoclaste et les autorités politiques s’emparent de la question. Plusieurs propositions de loi, dont la plus récente émane du sénateur Jean-François Husson (lire ci-dessous), puis le Roquelaure de l’assurabilité des territoires créent les conditions d’un meilleur recours des collectivités à l’assurance privée.

L’histoire de Breil-sur-Roya est en soi édifiante. En juin 2024, la Smacl à laquelle la commune était assurée depuis vingt ans annonce la rupture de son contrat au 1er janvier 2025. Stupeur en mairie et courroux de son maire qui déplore alors «un manque de considération à l’égard d’une commune si durement touchée par la tempête Alex ». Une catastrophe majeure qui, en octobre 2020, dévastait la vallée de la Roya et engendrait près de 25 millions d’euros de dégâts sur la commune (lire notre article) : «6 millions d’euros sur les 10 millions d’euros d’indemnités nous ont été versés, relate Sébastien Olharan. Reste 4 millions d’euros que la Smacl refuse catégoriquement de régler pour le seul motif qu’elle ne reconnaît pas un des deux arrêtés de catastrophe naturelle portant sur les mouvements de terrain, pris pourtant par la préfecture. Sur ce dossier, nous saisirons le tribunal administratif. »
 

Un recours : le bureau central de tarification 

La commune a déjà agi pour contester la décision de rupture de la Smacl. Cette dernière, trois jours avant l’audience du tribunal administratif fin 2024, consent finalement à prolonger trois contrats d’assurance dont la responsabilité civile et la protection juridique jusqu’à la fin 2025, «nous permettant d’ouvrir sans crainte nos structures d’accueil (école, crèche, centre de loisirs...) ».

Rien, en revanche, pour l’assurance des bâtiments publics dont la nécessité d’une couverture n’échappe à personne. Le tribunal administratif, dans son jugement du 31 décembre, donne raison à l’assureur. Mis devant le fait accompli, Sébastien Olharan et son équipe publient le fameux arrêté du 1er janvier 2025. Puis lancent au cours de l’année un appel d’offres... qui n’obtient aucune réponse des assureurs, excepté celle de Paris-Nord Assurances pour la responsabilité civile uniquement.

Comme un certain nombre de collectivités, la commune, en désespoir de cause, fait appel à des courtiers pour démarcher des assureurs étrangers. En vain. Et finit par saisir le bureau central de tarification (BCT) qui «a contraint cinq assureurs à se regrouper pour assurer nos bâtiments publics du 15 janvier au 31 décembre 2025, chaque société contribuant à hauteur de 20 % chacune ». Reste que les conditions sont très défavorables avec une cotisation qui passe de 15 000 à 100 000 euros, des franchises très élevées pour assurer la commune contre les catastrophes naturelles, incendies et terrorisme.

En revanche, elle n’est plus assurée pour les vols, dégradations, dégâts des eaux, dommages électriques et émeutes. Et le coût des contrats pèse sur le budget : «La part assurantielle dans les dépenses de fonctionnement de la commune est passée de 0,4 à 4,5 %, conclut le maire, une hausse impactant notre budget (départ d’agents non remplacés, réduction du festival municipal...). »

 

TROIS QUESTIONS À...
Sébastien Olharan  Maire de Breil-sur-Roya (06)
« Nous ne pouvons pas laisser nos bâtiments sans assurance » 
• Le plan d’action gouvernemental issu du Roquelaure de l’assurabilité des territoires (lire notre article) va-t-il dans le bon sens ?
J’aimerais y croire mais la manière dont les assureurs ont tendance à se désengager sous des prétextes souvent fallacieux ne m’incite pas à l’optimisme. Je me pose la question de la viabilité du système. Ne faudrait-il pas changer de braquet en engageant une profonde réforme de notre système d’assurance des collecti­vités ? Je plaide, pour ma part, pour la constitution d’un fonds d’assurance publique dans lequel les collectivités ­cotiseraient. Cela éviterait de se retrouver face à des interlocuteurs privés qui ne semblent pas prendre la mesure des enjeux. Pour l’heure, je ne cesse de les appeler à assurer leur mission de service public en accompagnant les communes.
Y a-t-il eu une amorce de dialogue avec les assureurs ?
À aucun moment un assureur ne s’est présenté en mairie pour qu’on puisse aborder en détail ce qui pouvait être assurable ou non sur la commune et à quel coût. Bref, le jeu minimum d’une offre et des négociations inhérentes. ­L’indifférence est généralisée, comme en témoignent les appels d’offres pour réassurer la commune qui se sont tous avérés infructueux, faute de candidats ! Mais je persévère, je n’ai pas le choix : en juillet 2025, nous avons republié un appel d’offres même si je ne me berce pas d’illusions sur son issue.
Saisirez-vous de nouveau le bureau central de tarification en 2026 ?
L’idéal serait de trouver un assureur après appel d’offres. Mais bien sûr, si ce n’est pas le cas, nous recommencerons une procédure auprès du bureau central de tarification en justifiant nos démarches auprès des assureurs et donc notre impuissance. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser nos bâtiments sans aucune assurance !
© Photo Mairie de Breil-sur-Roya

 

Les acteurs clés
Le Bureau central de tarification (BCT). Autorité administrative chargée de garantir l’obligation d’assurance, le BCT est intervenu auprès de 5 assureurs (Groupama, Allianz, Axa, Swiss Life et Generali) pour les contraindre à assurer les bâtiments publics de Breil-sur-Roya pour la seule année 2025. Une première en France qui pourrait faire jurisprudence.
Les élus des Alpes-Maritimes. L’ancien sénateur Philippe Tabarot (aujourd’hui ministre des Transports), les sénatrices Dominique Estrosi-Sassone et Alexandra Borchio-Fontimp, la députée Christelle d’Intorni ont soutenu avec constance le combat de Sébastien Olharan. De même que David Lisnard, président de l’AMF, qui a toujours dénoncé la situation insoutenable à Breil-sur-Roya mais aussi les difficultés des communes françaises non assurées ou impactées par des hausses vertigineuses de cotisations.
Les médias. Au-delà de la cocasserie de l’arrêté municipal du 1er janvier 2025 portant sur l’interdiction à toute catastrophe naturelle de pénétrer le territoire communal, ils ont relayé le casse-tête édifiant de Breil-sur-Roya, participant ainsi à faire bouger les lignes politiques sur la problématique assurantielle des collectivités.

 

Des nouveaux outils pour les collectivités
Lors du Roquelaure de l’assurabilité des territoires d’avril 2025, une charte et un plan d’action avaient été présentés par le gouvernement pour répondre aux inquiétudes des élus (lire notre article). Principale mesure : la création d’une cellule d’accompagnement, de conseil, d’information et de formation des collectivités en difficulté assurantielle, baptisée « CollectivAssur » est effective depuis le 1er juillet 2025.
À noter aussi la parution d’un guide sur les marchés publics d’assurance (www.economie.gouv.fr).
Par ailleurs, la proposition de loi du sénateur Jean-François Husson, adoptée le 11 juin au Sénat, vise à garantir une solution d’assurance aux collectivités territoriales. Elle prévoit de créer un observatoire des tarifs assurantiels applicables au service public – sur le modèle de l’observatoire des tarifs bancaires – et de renforcer le rôle du Médiateur de l’assurance. L’Assemblée nationale doit encore discuter la proposition.
Enfin, le décret n° 2025-613 du 1er juillet 2025 fixe un plancher et un plafond du montant de la franchise des assurances en matière de catastrophes naturelles (lire notre article). 

 

Par Thierry Guerraz
n°437 - SEPTEMBRE 2025