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09/10/2025
107e Congrès de l'AMF 2025 AMF Décentralisation Élections Finances Votre mandat

André Laignel : " La décentralisation doit reposer sur la confiance, la liberté et la responsabilité "

Dans un entretien accordé à Maires de France, André Laignel, maire d'Issoudun (36) et premier vice-président délégué de l'AMF, rappelle les principes sur lesquels doit reposer un nouvel acte de décentralisation. Il plaide pour un renforcement de l'autonomie financière et fiscale des collectivités. Et rejette toute ponction sur leur budget en 2026.

&Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, annonce «un grand acte de décentralisation ». Quelle est votre réaction ?

On peut se poser la question de la sincérité de la proposition. Au bout de huit ans de reconcentration et de recentralisation, nous annoncer un grand mouvement de décentralisation peut ressembler à une manœuvre de diversion. Mais puisqu’on nous propose le débat, il convient que nous nous en saisissions. L’AMF prône un nouvel élan de décentralisation depuis des années.
 

Posez-vous des préalables à cette réflexion ?

Tout mouvement de décentralisation doit reposer sur trois mots qui aujourd’hui sont absents du dictionnaire de l’État : «confiance » alors qu’elle n’a jamais été aussi faible entre l’État et les collectivités ; «liberté », qui sera le thème central du 107e Congrès de l’AMF (17-20 novembre), alors que la libre administration des collectivités est bafouée puisque celles-ci sont étouffées financièrement et administrativement ; «responsabilité » car nous ne concevons pas la liberté sans responsabilités. Si l’État accepte ces trois grands principes, nous pourrons entrer dans les détails.
 

Vous ne souhaitez pas débattre des compétences comme le propose le chef du gouvernement. Pourquoi ?

Vouloir, comme le souhaite le Premier ministre, commencer par une répartition des compétences sans savoir sur quels principes cela serait établi n’a aucun sens et pourrait se révéler être un piège pour les élus. À ce stade, on a l’impression que le Premier ministre choisit les sujets – le logement, la santé… – qu’il pourra éventuellement transférer aux collectivités locales sans leur donner les moyens d’y faire face.
 

Quelles doivent être les priorités en matière de décentralisation ?

Premièrement, tout doit être décentralisé, sauf ce qui est dévolu à l’État. Cela s’appelle la subsidiarité. Deuxièmement, il faut redonner un contenu, un sens et des garanties à la libre administration des collectivités. Troisièmement, il faut garantir l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Quatrièmement, inscrire dans la Constitution la clause de compétence générale des communes. Cinquièmement, leur donner un pouvoir réglementaire. Tels sont les cinq piliers sur lesquels devrait se construire un accord-cadre sur une nouvelle étape de décentralisation à laquelle nous donnerons ensuite un contenu, thématique par thématique, avec les moyens correspondants.
 

Qu’attendez-vous du projet de loi de finances pour 2026 ?

Toute réflexion en matière de décentralisation passe par un budget 2026 qui épargne les collectivités territoriales de toute nouvelle ponction. On ne peut pas dire aux élus que l’on veut décentraliser et continuer de les étouffer financièrement. Je rappelle que depuis 2010, les ponctions sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) représentent 82 Mds d'euros. L’an prochain, il est essentiel que l’État reconduise le montant de la DGF 2025 en l’indexant sur l’inflation. L’AMF demande également un moratoire sur les normes et sur la hausse des cotisations des employeurs territoriaux à la CNRACL.
 

À six mois des élections municipales, quelle est la situation financière des communes ?

Les collectivités continuent d’investir puisque chaque maire souhaite honorer ses engagements. L’investissement local ne progressera cependant que d’un peu plus de 4 % cette année contre 8 % en 2019. Beaucoup de communes subissent la baisse des financements de l’État. Elles financent leurs investissements par une augmentation importante de la dette – qui coûte de plus en plus cher – et un prélèvement sur leur trésorerie en puisant dans leur réserve pour celles qui en ont encore une.  
 

Quel bilan faites-vous du mandat 2020-2026 ?

Nous sortons de cinq ans et demi de crises – sanitaire, économique, sociale – dont les élus ont dû assumer la gestion en première ligne, auxquelles s’ajoute la crise internationale. Ceci explique l’usure ressentie. Les maires nouvellement élus en 2020 sont majoritaires parmi ceux qui ont démissionné en cours de mandat. Ils ont découvert qu’être maire pouvait être une tâche quasi impossible, ils se sont sentis empêchés d’agir dans un contexte où les demandes des citoyens et leur irritabilité ont été exacerbées, conduisant à des violences physiques et/ou verbales à leur encontre.
 

À six mois des élections municipales, craignez-vous une crise des vocations ?

L’immense majorité des maires continuent de penser que c’est le plus beau des mandats au service de l’intérêt général. Être élu par ses concitoyens est un honneur. Il n’y a rien de plus gratifiant parce que l’on est au contact permanent de la population, on voit les projets se concrétiser, on se sent utile. Ce moteur reste tellement puissant qu’il nous préserve d’une véritable crise des vocations. Parallèlement, l’AMF engage une grande campagne pour inciter nos compatriotes à s’engager dans le domaine municipal, social, associatif. Un quart d’entre eux se disent prêts à s’engager dans un conseil municipal, selon le baromètre AMF-Cevipof réalisé en juillet.
 

Les mesures en cours d’adoption sur le statut de l’élu sont-elles suffisantes ?

Elles ne répondent pas à tous les sujets mais le texte va tout de même dans le bon sens. Il doit maintenant être adopté avant le prochain scrutin municipal. Il faut améliorer la couverture sociale, la conciliation entre l’exercice du mandat, la vie professionnelle et personnelle, favoriser l’engagement des femmes, des jeunes, augmenter les indemnités des élus des petites villes où l’exercice du mandat est quasiment un travail à plein temps, garantir la retraite et la validation des acquis de l’expérience (VAE).  
 

Les élus déplorent leur surexposition juridique. Partagez-vous ce sentiment ?

Leur protection est insuffisante et doit être renforcée. Un élu agissant par intérêt personnel doit être condamné. Mais quand un élu n’a aucun intérêt personnel dans une affaire, il n’y a aucune raison qu’il puisse être poursuivi. Actuellement, même si un élu n’a pas d’intérêt personnel dans une affaire, même s’il n’a pas commis un fait délictueux, il est susceptible d’être condamné pour prise illégale d’intérêts.  
 

La loi du 21 mai 2025 étend le scrutin de liste dans les petites communes. Que peut-on attendre de cette réforme ?

C’est une avancée pour la démocratie locale. Il faut imposer la parité. Je conçois qu’il puisse être compliqué de constituer une liste mais je suis certain que l’on parviendra à convaincre les femmes de s’engager. Ce mode de scrutin permettra de constituer de vraies équipes municipales autour d’un projet partagé et d’éviter les conflits au sein de la majorité municipale qui ont été l’une des principales raisons des démissions de maires pendant ce mandat).  

Propos recueillis par Bénédicte Rallu et Xavier Brivet
n°438 - OCTOBRE 2025