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08/12/2025
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Lutte contre la corruption : l'enjeu d'améliorer les dispositifs d'alerte

L'agence française anticorruption (AFA) a consacré son colloque annuel le 8 décembre à la question des alertes et des signalements des atteintes à la probité. Les lanceurs d'alerte constituent un maillon essentiel, mais fragile, dans ce combat.

La ministre Amélie de Montchalin détaille le plan pluriannuel de lutte contre la corruption pour les années 2025-2029 au colloque de l'AFA du 8 décembre 2025.
Le 9 décembre, journée mondiale de lutte contre la corruption. L’occasion pour diverses institutions et organisations de dresser un bilan. La Cour des comptes évalue aujourd’hui la politique de lutte anticorruption. L’Agence française anticorruption (AFA) a, elle, tenu son colloque annuel le 8 décembre dans les locaux du ministère de la Justice, l’un de ses deux ministères de tutelle.

Avec une invitée de marque en ouverture en la personne d’Amélie de Montchalin, ministre de l’Action et des Comptes publics, pourtant bien occupée avec les débats budgétaires au Parlement. Avec le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, elle assure la cotutelle de l’AFA. Le moment est en outre particulier avec le travail mené en 2025 contre le crime organisé et la loi narcotrafic.

Puissance corruptive du narcotrafic

« La lutte contre la corruption sera un gros sujet en 2026 pour aller au bout de ce que l’action régalienne peut faire contre les trafiquants en tout genre et leur atteinte au fonctionnement essentiel de l’État », a planté Amélie de Montchalin. «Ce phénomène insidieux, caché a un impact ravageur pour la compétitivité de l’économie, pour la confiance dans l’action publique et plus généralement le pacte social ».  Elle a aussi rappelé le poids du narcotrafic en France (7 milliards d’euros) pour éclairer sur «la puissance corruptive » de ce fléau qui touche désormais toute la France. Les maires l’ont largement répété lors du dernier Congrès des maires (voir nos articles sur la sécurité en outre-mer et le débat sur les maires dans la sécurité publique).

Plan pluriannuel 2025-2029

Dans la continuité de cette lutte contre la criminalité organisée, le gouvernement a publié, le 14 novembre dernier, le second plan pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029 pour renforcer les services de l’État. Le document présente 36 mesures «de bon sens » selon les mots de la ministre de l’Action et des Comptes publics : «comment on renforce les échanges sur les risques et les bonnes pratiques entre les administrations, comment on assure un meilleur contrôle de l’accès aux fichiers régaliens, une meilleure détection des signaux faibles », etc. «Ce plan vise à mobiliser l’ensemble des acteurs de l’État, des collectivités territoriales et des acteurs économiques », a-t-elle précisé. Pour les collectivités, le plan vise à clarifier les règles et à améliorer l’appui aux élus et agents. [en 2024, l’AFA et l’AMF ont publié à ce titre un guide anticorruption à destination des élus, ndlr]. Pour l’État, le plan repose sur trois volets : prévention, détection, répression.

Les signalements, moyens efficaces

Face à un phénomène caché, les alertes et signalements constituent bien souvent le seul moyen de mettre à jour des faits de corruption. Ils sont en tout cas «l’un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les atteintes à la probité », juge Isabelle Jegouzo, directrice de l’AFA. La loi Sapin II de 2016 et la loi Waserman du 22 mars 2022 ont respectivement consacré les lanceurs d’alerte et renforcé leur protection.

A entendre les différents intervenants du colloque de l’AFA consacré aux alertes et signalements des atteintes à la probité, il reste encore beaucoup de progrès à faire. Le système repose sur la confiance qu’ont les lanceurs d’alerte dans les dispositifs de signalements mis en place, dans la confidentialité des échanges, dans leur protection. «On voit avec Marseille que les conséquences peuvent être désastreuses », a constaté Amélie de Montchalin, qui a émis une pensée à l’égard de la famille Kessaci [assassinat du frère d’une figure de lutte contre le narcotrafic à la mi-novembre ndlr]. «Une mise en œuvre lourde peut être dissuasive ».

Protection des lanceurs d'alerte

La Défenseure des droits reçoit 800 saisines par an et «alerte depuis 2016 » sur la protection des lanceurs d’alerte : «Très souvent, ils sont des témoins de l’intérieur » des organisations et leur signalement, qui revient à «désobéir, bouleverse en outre leur environnement professionnel », témoigne Cécile Barrois de Sarigny, adjointe à la Défenseure des droits chargée des lanceurs d’alerte. Ses services font donc office de «facilitateurs d’alerte » en amont du signalement : ils informent sur le cadre, les dispositifs, oriente. Les pouvoirs publics ont désigné 41 autorités extérieures susceptibles de recevoir des alertes. La Défenseure des droits coordonne l’ensemble de ces dispositifs d’alertes externes aux organisations. Mais «l’enjeu réside dans les alertes internes. Nous constatons des difficultés qui sont délétères » car dissuasives, explique Cécile Barrois de Sarigny.

Inciter 

Des pistes d’amélioration existent cependant. La recherche en économie expérimentale présente toute une littérature sur le sujet que l’économiste Eve-Angéline Lambert (Université de Lorraine) a résumé dans un article scientifique. Certains arguments peuvent pousser les organisations à mettre en place des dispositifs incitant les signalements internes : être en conformité avec la loi, mettre en place des mesures correctives pour faire cesser de mauvaises pratiques, un mécanisme de signalement interne évite une alerte externe donc plus visible, améliore l’image de marque, etc. Pour inciter les collaborateurs à signaler des faits, il peut être mis en place des formes de récompenses, de valorisation de tels comportements, de systèmes d’anonymisation des signalements, … et plus généralement la mise en place d’une culture éthique.

Marges de progression

Dans la pratique, qu’en est-il ? Dans le service public, la direction générale de la fonction publique (DGAFP) a indiqué que les dispositifs de signalements avait été créés, les référents désignés dans tous les ministères, les procédures internes écrites. Mais «il y a des marges de progression, reconnaît Hélène Martin, la sous-directrice de la synthèse statutaire, des politiques territoriales et des partenariats au sein de la direction, car les agents connaissent mal [ces outils], nous avons eu seulement 2 signalements au ministère de la Culture, 1 seul recevable au ministère de la Justice. Et nous avons des difficultés à protéger le lanceur d’alerte pendant la phase de traitement de l’alerte ». La DAGFP a instauré un groupe de travail sur les alertes internes avec les autres versants de la fonction publique et inscrit le sujet dans l’agenda social de discussions avec les employeurs et les organisations syndicales dans le cadre du Conseil commune de la fonction publique.

Le bilan dans les collectivités n’apparaît pas tellement meilleur, selon Élise Untermaier-Kerléo, universitaire à Lyon et référente déontologue pour de nombreuses collectivités : «Les collectivités ont été débordées par le nombre de dispositifs à mettre en place : violences sexuelles et sexistes, laïcité, déontologie, etc. Elles ont aussi manqué d’accompagnement. Nous développons le travail en réseau et venons de créer une association des référents déontologues, dont un des forums sera consacré à la spécificité du référent alerte ».

Pas de protection pour les élus d'opposition 

Là apparaît une problématique : dans beaucoup d’organisations, le référent déontologue est aussi le référent alerte, pour des raisons de mutualisations. Mais «il ne s’agit absolument pas de la même chose » font remarquer les experts : l’un conseille, l’autre recueille le signalement. Un autre impensé pour Élise Untermaier-Kerléo porte sur les élus d’opposition qui «n’ont pas de statut de lanceur d’alerte. Je ne sais pas quoi leur dire. Certains se désolidarisent de la majorité car choqués par des faits, mais il n’existe pas de dispositifs d’alerte pour eux ».

Quid des polices municipales

Le ministère de l’Intérieur travaille lui aussi à améliorer les signalements internes, surtout avec le risque expansif de la criminalité organisée qui pousse certains agents dans la corruption «en raison de pressions familiales », révèle Jean-Michel Gentil, chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale. L’accès non autorisé aux fichiers régaliens constitue l’un des champs de la corruption, ce qui fait dire à Jean-Michel Gentil que cette question devra être abordée pour les polices municipales…    

 

Par Bénédicte Rallu
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