Dossiers et enquêtes
05/03/2021
Aménagement, urbanisme, logement

Loi SRU : les élus demandent de la souplesse

Adopté il y a 20 ans, l'article 55 de la loi SRU imposant un taux minimum de logements sociaux suscite toujours des difficultés d'application, en dépit de la bonne volonté des élus. L'État a lancé une réflexion sur l'avenir du dispositif, après 2025. L'AMF prône un rythme de rattrapage progressif tenant compte des spécificités locales. Par Martine KIS

En 2020, 1 100 communes sont encore déficitaires en logements sociaux et astreintes à une obligation de rattrapage.
Pour son 20e anniversaire, l’avenir de l’article 55 de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 pouvait paraître incertain. Le Premier ministre, Jean Castex, a levé l’ambiguïté à ce sujet lors du Comité interministériel à la ville, le 29 janvier : « Le gouvernement demeure plus que jamais attaché à l’application de cette loi fondamentale et travaille à sa prolongation pour organiser la solidarité des territoires pour le logement des ménages modestes et de la classe moyenne. » Petit rappel : la loi SRU impose à des communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) un pourcentage de construction de logements sociaux de 20 %, porté à 25 % en 2013. Les communes déficitaires selon la loi doivent s’acquitter d’un prélèvement annuel calculé en fonction du nombre de logements sociaux manquant et satisfaire des obligations triennales de construction. À défaut de les respecter, les communes peuvent être déclarées carencées. Leur prélèvement annuel peut être majoré et l’État leur reprendre le droit de préemption urbain et les autorisations d’urbanisme. Ce texte qui, aujourd’hui, fait l’objet d’une quasi-unanimité, au point d’être qualifié de « totem », a été menacé entre 2002 et 2012, mais renforcé depuis. Des difficultés d’application demeurent. Dans ce contexte, le gouvernement a lancé, en décembre dernier, une concertation, notamment avec les associations d’élus, sur l’avenir du dispositif, après l’échéance de 2025 fixée par le législateur. En 2020, sur 2 091 communes concernées par l’article 55 de la loi, 1 100 sont encore déficitaires. Les maires concernés protestent pour la plupart de leur bonne volonté, de leur adhésion aux objectifs de la loi. Mais, selon eux, la tâche est difficile, sinon impossible. « J’ai été élu en 2014 dans une commune avec 9 % de logements sociaux. Il est impossible d’atteindre les 25 % en 2025 ! », s’exclame Hervé Stassinos, maire du Pradet (10 200 hab., Var), en arrêté de carence depuis 2017, et qui subit une pénalité majorée de 400 %, soit 650 000 € sur un budget annuel de 10 M€. Entre 2014 et 2017, avec 130 logements sociaux, 50 % de l’objectif a été atteint. « Mais depuis que la commune est carencée, l’État n’en a réalisé aucun. Et des permis de construire ont été refusés par le préfet pour des motifs environnementaux », souligne le maire qui affirme avoir besoin de logements sociaux pour loger les travailleurs essentiels, et les personnes connaissant «un passage difficile ». Il dénonce une « recentralisation de la politique du logement » et les mauvais rapports avec des services préfectoraux aux moyens limités. Il propose de faciliter l’investissement dans l’ancien avec des contreparties sociales. « Bien que nous construisions du social, nous sommes toujours à 9 % car le privé aussi construit dans les mêmes proportions », explique-t-il. Un constat établi par nombre d’acteurs : le taux SRU est souvent impossible à atteindre dans les communes déficitaires. « L’obligation triennale de construction fait abstraction de la progression parallèle du parc privé », explique Grégoire Fauconnier, géographe (lire ci-dessous). Une tendance favorisée par la construction de logements en VEFA (vente en état futur d’achèvement). « Il est vrai que l’objectif s’éloigne si, dans la VEFA, le pourcentage réservé au logement social ne permet pas le rattrapage, reconnaît Thierry Repentin, maire de Chambéry (60 376 hab., Savoie) et président de la commission nationale SRU. Il est important d’avoir un œil sur le rythme de construction de résidences principales dans sa commune pour être sûr que le déficit ne s’aggrave pas. Et il faut imposer une clause de mixité sociale aux constructeurs. »
 

Maîtriser le prix du foncier

Si Follainville-Dennemont (2 000 hab., Yvelines) est aujourd’hui déficitaire de 6 logements, c’est parce que les propriétaires divisent de grandes parcelles au bénéfice de résidences principales. « C’est un vrai problème auquel les maires ruraux sont de plus en plus confrontés. Je ne maîtrise pas ces divisions et il ne serait pas acceptable que je refuse un permis de construire », remarque le maire, Sébastien Lavancier. Sa commune a déjà profité d’une friche industrielle pour construire du logement social ainsi que d’un projet de résidence pour seniors et familles. Quelques anciens corps de ferme ont aussi été transformés en logements sociaux. Pour combler le déficit, le maire compte sur un projet de logements adaptés pour une communauté Emmaüs, qui entreraient dans le quota SRU. Sa crainte : l’arrivée trop nombreuse de familles qui l’obligeraient à agrandir son école. « Je n’en ai pas les moyens, ni ceux d’assumer le périscolaire », souligne-t-il. L’absence de concordance entre les documents d’urbanisme est aussi une difficulté. Lionnel Luca, maire de Villeneuve-Loubet (14 300 hab., Alpes-Maritimes), ne décolère pas. Son plan local de l’habitat (PLH) lui impose 180 logements sociaux. Et il est mis en carence pour en avoir réalisé 233 ! « C’est l’État schizophrène ! Il valide un PLH mais impose autre chose ! » Tenu de construire 761 logements sociaux d’ici 2022, alors que sa commune en compte 716 au total, Lionnel Luca affirme pourtant son attachement au logement social. « Nous avons 16 opérations en cours. Pas loin de ce que demande l’État, mais pas pour 2022. » Il réclame, lui aussi, un bilan des logements construits « à taux réel, sur la base des résidences principales de 2021, et non selon le nombre de logements lors du recalcul triennal. Cela éviterait de traiter les maires de délinquants. » Allusion à une déclaration d’Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, le 5 décembre, accusant les maires de « jouer la montre », et vivement critiquée par les instances de l’AMF. Lionel Causse, député des Landes et ancien maire de Saint-Martin-de-Seignanx (6 300 hab.) de 2014 à 2017, reconnaît que la loi SRU est un atout pour réaliser du logement social quand les habitants n’y sont pas favorables. « J’ai “vendu” le logement social comme étant le meilleur outil en faveur du pouvoir d’achat », se souvient-il. Pour construire, il a fait feu de tout bois. Logement senior en lien avec une maison de retraite, foyer et logements en diffus pour jeunes travailleurs, logements diffus avec un établissement et service d’aide par le travail, convention privé-bailleurs sociaux. Pas de VEFA à proprement parler. « Les bailleurs veulent être maîtres d’ouvrage. Lorsqu’un promoteur privé a un projet, nous lui imposons une session de foncier au profit d’un bailleur. Il ne lui fait d’ailleurs pas de cadeau. Pour compenser le surcoût, nous versons 3 000 € par logement au bailleur. C’est beaucoup d’argent public. Il manque un outil pour stopper la montée du prix du foncier. » Parti de 6,9 % de logements sociaux en 2014, la commune a atteint 20 % pour une obligation de 25 %, sans pénalité, l’objectif triennal ayant été dépassé. « Avec la montée des prix du foncier, et un PLUi en cours d’élaboration, pas sûr que mon successeur puisse en faire autant », déplore l’ancien maire qui propose de geler les prix des domaines lors d’une préemption ou d’une vente à un bailleur.

90 % des communes qui sont aujourd’hui carencées en logements sociaux ne pourront pas tenir
leurs objectifs pour 2025,
selon les projections de l’État (DHUP).

Vitry-le-François (12 000 hab., Marne), avec 50 % de logements sociaux, n’est pas en déficit. Ce qui ne signifie pas une absence d’ambition : la loi SRU ne vise en effet pas seulement la construction de logements sociaux, mais la réalisation d’un objectif de mixité sociale. « Pas une mince affaire ! », s’exclame le maire, Jean-Pierre Bouquet, maire référent « logement social » de l’AMF. Dans sa commune, en déprise industrielle, il voit les jeunes ménages quitter le centre-ville pour les environs, alors que la vacance dans les logements sociaux est importante. Il soutient donc des projets en cœur de ville par des garanties d’emprunt, en apportant du foncier, comme pour une caserne de gendarmerie, et en prenant en charge les réseaux. En centre-ville, dans le quartier du Vieux-Port, une opération a permis, en 2017, la réalisation d’une médiathèque, d’une résidence services pour seniors et d’une quarantaine de logements locatifs sociaux dans quatre petits immeubles. « La ville a financé en rez-de-chaussée des locaux pour des services municipaux. Une façon d’aider le bailleur à monter l’opération », explique le maire. De plus, dans le quartier prioritaire du Hamois, 1 300 logements seront détruits et 250 construits dans un nouvel écoquartier. « On retend le marché et on répond à une demande d’habitat social qualitatif qui maintient la mixité en cœur de ville », précise l’élu. L’État ferait-il mieux ? Périgny-sur-Yerres (2 700 hab., Val-de-Marne) est une commune carencée. « Nos maraîchers nourrissent 200 000 bouches en Île-de-France. Il n’y a pas de jachère et la zone constructible est réduite », dit le maire, Armand Védie. C’est pourquoi, privé du droit de préemption du fait de l’arrêté de carence, il propose à l’État et à des bailleurs de préempter des maisons à réhabiliter en logement social : « Ils ont refusé. Pas rentable. » Or, l’élu réaffirme sa volonté de construire du logement social. « Un maire d’Île-de-France qui le refuse est à contre-courant des réalités sociales. Il n’y a plus un seul maire opposé à la loi SRU. Mais il faudrait faire un audit de ce qui fonctionne ou non. » C’est le but de la concertation lancée, fin 2020, par le gouvernement, sur l’avenir de l’article 55 au-delà de 2025. Un rapport, demandé par Emmanuelle Wargon à la commission nationale SRU, présidée par Thierry Repentin, a déjà été remis le 27 janvier. Pour ce dernier, la loi est un succès. « Lors de toutes les périodes triennales depuis 2002, les objectifs quantitatifs globaux de l’État ont été dépassés dans les communes en rattrapage. »
 

Avenir de l’article 55 : deux options

Pour la période triennale 2017-2019, alors qu’il fallait produire 200 000 logements sociaux, les objectifs ont été atteints à hauteur de 116 %. Pour autant, en 2020, 1 100 communes sont encore déficitaires et astreintes à une obligation de rattrapage. Parmi celles-ci, 975 l’étaient déjà en 2015. Et pour elles, l’échéance est bien 2025. Pour les autres, entrées dans le dispositif après 2015, la date butoir est plus éloignée. « Il n’est pas question d’alléger la pression sur ces communes. Ce serait une prime à l’inaction », soutient fermement Thierry Repentin. L’enjeu n’est pas mince car l’on estime que ces communes déficitaires devraient réaliser plus de 600 000 logements à terme, en PACA et en Île-de-France pour la moitié d’entre eux. S’il est entendu que les obligations doivent être prolongées, les modalités font débat. Le rapport le reconnaît : « Certaines communes font face à une difficulté réelle à remplir les objectifs de rattrapage », y compris pour des communes « volontaristes ». Deux options sont donc retenues. La première, dite « glissante », fixerait un rythme de rattrapage de 33 % du nombre de logements sociaux manquant, applicable à toutes les communes, sur une période triennale. « Soit 197 000 logements en trois ans, environ ce qui a été fait en 2017-2019 », remarque Thierry Repentin. Cet objectif pourrait être revu à la baisse dans quelques cas limites, mais aussi augmenté lorsqu’une commune a montré sa capacité à atteindre 33 %. Deuxième option, dite « fixe » : prolonger le dispositif actuel avec une échéance fixe mais différenciée selon le taux de logement social de la commune. Une à quatre périodes triennales seraient ajoutées au-delà de 2025. La commission nationale SRU indique une préférence pour la première option, plus simple et lisible. C’est aussi celle qui a la préférence de l’AMF (lire ci-dessous). Thierry Repentin recommande la signature par les communes, les EPCI et l’État de « contrats de mixité sociale » et un alourdissement des sanctions en cas de résultats « très insuffisants ». Il insiste sur la nécessité, pour l’État, de se doter de plus de moyens d’accompagnement des collectivités, aussi bien financiers qu’humains. Un moyen d’éviter la mésaventure vécue par la commune nouvelle des Portes de Savoie ? Ce n’est que lors du lancement de son nouveau PLU que celle-ci, créée au 1er janvier 2019, apprend qu’elle est désormais soumise à la loi SRU. « Les services de l’État, consultés depuis mi-2018 sur les conséquences de la création de la commune nouvelle, ne nous en avaient pas parlé. C’est avec le PLU que nous découvrons que pour l’Insee, nous faisons partie de l’unité urbaine de Chambéry. Je suis dans une colère noire », gronde Franck Villard, le maire. Et c’est ainsi qu’il devrait construire 23 logements en 3 ans, plus de 100 en 12 ans, tout en écopant de 30 000 € de pénalité.

 

TÉMOIGNAGE
Grégoire Fauconnier, docteur en géographie*   
L’objectif de la loi SRU est la mixité sociale. Cependant, l’analyse qualitative des logements sociaux dans les communes déficitaires laisse planer le doute. Dans les Yvelines, objet de ma thèse, de 2002 à 2016, le parc privé a progressé plus vite que le parc social. Or, plus on construit de résidences principales, plus il faut augmenter le nombre de logements sociaux pour atteindre le pourcentage légal. La loi SRU ambitionnait la réalisation de logements familiaux. Mais on peut contourner la loi par le biais de structures collectives. Près de 40 % des nouveaux logements sociaux dans les communes déficitaires des Yvelines sont dans de telles structures. Et jusqu’à 95 % dans deux communes. C’est une forme de marge de négociation laissée par l’État aux communes. Mais elle empêche d’atteindre l’objectif de mixité sociale. Il s’agit de résidences étudiantes, de foyers de jeunes travailleurs, d’EHPAD. Cela peut répondre à une demande réelle, mais pas à l’objectif de mixité sociale. Les centres d’accueil des demandeurs d’asile ont d’ailleurs moins de succès. Il faudrait être plus stricte sur la définition du logement social et imposer des logements familiaux. C’est le véritable problème du logement en France ».
* Auteur de « Loi SRU et mixité sociale. Le vivre ensemble en échec ? » (Édition Omniscience).

 

La position de l'AMF
Alors que la réflexion est lancée sur l’avenir de l’article 55 de la loi SRU après 2025, le comité directeur de l’AMF a réaffirmé, le 19 janvier, son attachement au modèle du logement social. L’AMF regrette cependant que les objectifs de la loi ne tiennent pas assez compte des spécificités territoriales. Elle souligne le paradoxe qui voit les maires progressivement dessaisis de leurs compétences en matière de logement alors que les sanctions à leur encontre sont accrues. Concernant le rattrapage triennal pour les ­communes en déficit, surtout pour celles partant avec un stock très bas ou pour les communes nouvelles, l’AMF préconise de ­supprimer l’échéance de 2025 et de définir un nouveau rythme de rattrapage « glissant », en lissant la progression de construction pour atteindre les seuils légaux, tout en maintenant l’effort. L’AMF insiste : il faut absolument prendre en compte la position du maire concernant la possibilité de réalisation des objectifs car il connaît son territoire et sa capacité à produire du logement.

 

n°388 - MARS 2021