Dossiers et enquêtes
07/06/2021
Intercommunalité

Gouvernance. Les intercommunalités resserrent les liens avec les maires

L'adoption par les EPCI d'un pacte de gouvernance n'est pas obligatoire. Si peu s'en sont saisi, cela ne les empêche pas de revoir leur gouvernance pour mieux associer les élus municipaux aux décisions. Le pragmatisme semble être le maître mot pour s'adapter aux spécificités et à l'histoire particulière de chaque territoire. Par Philippe Pottiée-Sperry

Selon l'AMF, l'intérêt d'un pacte de gouvernance est de défendre des valeurs communes, en démultipliant des lieux d'élaboration des décisions.
Le 28 juin 2021. Telle est la date limite fixée pour adopter un pacte de gouvernance, soit un an après le second tour des municipales. Institué par la loi « engagement et proximité » (lire encadré ci-dessous), mais sans mise en œuvre obligatoire, ce contrat moral vise à mieux représenter les communes et à impliquer davantage les élus. « La loi a fixé un cadre mais qui n’est pas normé, en reprenant des outils déjà existants comme les chartes de gouvernance », explique Marie-Cécile Georges, responsable du département Intercommunalité et territoires de l’AMF. Et d’ajouter : « Pour lutter contre le sentiment de dessaisissement des élus municipaux, il faut revenir à la culture du consensus et d’une démarche collaborative. L’intérêt d’un pacte est de défendre des valeurs communes, en démultipliant des lieux d’élaboration des décisions. » Si aucun chiffre n’existe pour l’instant (l’AMF publiera une enquête sur les pactes de gouvernance, en juillet), il apparaît que peu d’EPCI ont adopté un pacte de gouvernance. Certains pensent le faire plus tard et d’autres, pas du tout. A priori nombreux, ces derniers peuvent ne pas vouloir formaliser leurs choix dans un document écrit malgré un accord entre élus. Un début de mandat particulièrement chargé et difficile compte tenu de la crise sanitaire explique aussi parfois une hiérarchie des priorités. « Le pacte de gouvernance, c’est utile lorsque les relations ne sont pas bonnes entre l’EPCI et les communes. Mais il s’agit en réalité d’un pansement sur une jambe de bois car on a été trop vite et trop loin sans tenir compte de la commune. » Le point de vue de Philippe Chalopin, président de la communauté de communes Baugeois Vallée (7 communes, 35 000 hab., 49), a le mérite de la clarté. Dans son EPCI passé de 37 à 7 communes du fait de la création de 5 communes nouvelles, dont la sienne, « la réponse ne passe pas par un pacte mais par une bonne répartition entre compétences de proximité et développement ». De ce fait, les relations communes-EPCI sont très bonnes, souligne l’élu. Les maires faisant tous partie du bureau communautaire, il n’y a donc pas besoin non plus de conférence des maires. Plaidant pour une intercommunalité « projet » et non pas « guichet », le chantre de la commune nouvelle estime qu’elle constitue la solution pour pacifier les relations communes-EPCI. « L’intercommunalité ne peut se penser que si on renforce en amont le tissu communal, estime-t-il. À l’avenir, les élus vont évoluer en créant davantage de communes nouvelles ce qui permettra d’aplanir les difficultés de fonctionnement des EPCI. » Pour sa part, Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi et présidente du Grand Albigeois (16 communes, 85 000 hab., 81), juge aussi que « le pacte n’est pas la priorité des élus lorsque l’EPCI fonctionne bien ». Selon la co-présidente de la commission intercommunalité de l’AMF, « il faut juste le voir comme un outil pouvant être utile pour les petites communes et les nouveaux élus, mais sans obligation. Il permet de rassurer les élus, en cas de fusions forcées ou d’intercos XXL ». Dans son agglomération, la moitié des maires sont nouveaux, suite aux municipales, d’où l’idée, au début du mandat, d’élaborer un pacte. Mais rapidement, la charte des bonnes pratiques des communes de l’Albigeois, mise en place dès 2009, s’est avérée suffisante en expliquant l’identité de chacun, les règles de fonctionnement et les transferts de compétences. Résultat : l’EPCI ne se dotera pas d’un pacte, se limitant juste par la suite au toilettage de sa charte.
 

Ce que dit la loi du 27 décembre 2019
Pour répondre aux critiques des élus contre une trop forte montée en puissance de l’intercommunalité, la loi « engagement et proximité » de 2019 vise notamment à améliorer sa gouvernance, en s’inspirant des pratiques déjà existantes. Facultatif, le pacte de gouvernance (lire la fiche parue dans Maires de France n° 380 de juin 2020, www.mairesdefrance.com/m/article/?id=355) associe les élus municipaux au fonctionnement intercommunal en prévoyant de manière souple et au choix des élus les modalités de consultation des communes, la création de conférences territoriales, la possibilité pour les élus municipaux d’assister aux commissions de l’EPCI, etc. Par ailleurs, la loi impose de créer une conférence des maires, qui existait déjà souvent, sauf si les maires sont membres du bureau. « La seule vraie innovation de la loi a été de permettre aux présidents d’EPCI de confier des délégations aux maires en matière de dépenses d’investissement, notamment pour la voirie, afin de rapprocher les décisions de la gestion quotidienne », précise Marie-Cécile Georges, responsable du département Intercommunalité et territoires de l’AMF.

 

Un levier pour mieux travailler ensemble

«  On ne s’est même pas posé la question d’un pacte, reconnaît Karine Gloanec-Maurin, présidente de la communauté de communes Collines du Perche (16 communes, 6 800 hab., 41). Notre priorité est la préparation du contrat de relance et de transition écologique (CRTE). » De plus, elle estime que la gouvernance chez elle fonctionne bien entre la conférence des maires et l’envoi systématique des documents à tous les élus communaux. Cette transmission de l’information constitue un préalable important, si elle est courte, simple et pédagogique. De son côté, Franck Leroy, président d’Épernay Agglo Champagne (47 communes, 50 000 hab., 51), ne se dit pas défavorable au pacte de gouvernance, « mais tout dépend de ce qu’il contient ! » La priorité, selon lui, est d’«  entretenir des relations régulières avec les élus, notamment en se rendant dans les conseils municipaux, et ne jamais cesser d’expliquer. Cela prend du temps mais c’est indispensable pour retisser des liens de confiance ». La communauté de communes de Petite Camargue (5 communes, 27 000 hab., 30) a décidé, elle aussi, de ne pas se doter d’un tel pacte. Pourquoi ? « Notre règlement intérieur et les réunions régulières du comité consultatif des maires du territoire fonctionnent très bien et suffisent », répond son président André Brundu. De plus, les élus municipaux sont associés aux 12 commissions thématiques de l’EPCI. Il est vrai que compter juste 5 communes facilite les choses ! Au-delà, la gouvernance repose sur une bonne articulation trouvée entre l’EPCI et les communes, ces dernières conservant la compétence PLU et le petit cycle de l’eau. « Nous préparons un pacte financier et fiscal, qui sera adopté en octobre prochain et constituera vraiment un ciment entre les élus », affirme André Brundu. Un avis partagé par Karine Gloanec-Maurin qui le juge bien plus urgent qu’un pacte de gouvernance. En revanche, sur un vaste territoire rural, issu de la fusion de trois EPCI, la communauté de communes Mirecourt Dompaire (76 communes, 20 315 hab., 88), qui recouvre 3 bassins de vie, ne possède pas d’identité propre. « Pas aisée, la tâche de fédérer les 700 élus municipaux apparaît d’autant plus importante », reconnaît sa présidente, Nathalie Babouhot. Adopté en juillet 2020, le pacte de gouvernance rappelle le rôle des instances communautaires, s’appuie sur une conférence des maires renforcée pour associer davantage les élus aux décisions stratégiques, une concertation organisée autour de 5 secteurs et la tenue d’une rencontre annuelle des secrétaires de mairie (information sur les délibérations communautaires). De plus, le pacte sera évalué tout au long du mandat avec des ajustements si besoin. Un travail qui commence à porter ses fruits en luttant contre certains stéréotypes. Les premières réunions de secteur ont attiré nombre d’élus ruraux (notamment sur des sujets comme la mutualisation). Les bienfaits du pacte s’observent aussi dans la communauté Vie-et-Boulogne (15 communes, 44 600 hab., 85), issue de la fusion de 2 EPCI déséquilibrés. Il offre une meilleure représentativité aux 12 petites communes qui disposent de 25 sièges sur les 49 du conseil. Quant au bureau, il compte des représentants de toutes les communes. De plus, la conférence des maires peut se réunir à l’initiative d’un tiers de ses membres. Les élus municipaux reçoivent, eux, l’ordre du jour et une note explicative avant les réunions de chaque conseil, puis un compte-rendu systématique.
 

Recréer du lien entre élus

Fusions forcées, périmètres trop vastes, fonctionnement trop techno… Les griefs ne manquent pas. Et constituent autant de bonnes raisons pour se doter d’un pacte afin de recréer du lien entre les élus. EPCI jeune et sans réelle volonté partagée, Mulhouse Alsace Agglomération (M2A, 39 communes, 267 800 hab., 68) a phosphoré dès 2017 sur la prise en compte des spécificités territoriales, de l’équilibre rural/urbain et du rôle moteur de la ville-centre. Une place centrale est donnée aux maires et aux élus communaux pour les associer aux processus de décision. « Rien n’est possible sans le respect de l’identité de chacun et une gouvernance partagée », insiste Fabian Jordan, le président de M2A. Et d’ajouter : « L’intercommunalité peut avoir un rôle fédérateur et structurant du territoire, mais à deux conditions : déboucher sur des résultats concrets et se réunir avant les prises de décision et non pas après. » Tout le travail participatif a conduit à plusieurs «instances de co-construction » dont, tout d’abord, la conférence des maires et les 3 conférences territoriales des maires (une par secteur), avec 4 réunions par mois (dont 1 plénière). S’y ajoutent des ateliers projets, avec élus et agents administratifs, sur chaque projet jugé important. Sur le sujet sensible de l’harmonisation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (20 taux de fiscalité différents, du simple au triple, pour un même service !), l’atelier finances est parvenu à un accord avec un taux moyen pondéré qui sera applicable en 2025. L’atelier PLU a, lui, réussi, au bout de deux ans de travail, à transférer sans heurt la compétence à la M2M. « Cela s’est accompagné d’une charte de confiance affirmant qu’en cas de conflit, le conseil municipal concerné reste souverain, explique Fabian Jordan. Depuis un an, ça se passe sans litige. » Selon le président de M2M, l’addition des conférences des maires et des ateliers projets mobilise et motive les élus. À cela s’ajoutent des forums des élus, des assises territoriales, des rencontres régulières avec les conseils municipaux (Fabien Jordan s’est rendu dans chacun d’entre eux pour présenter le pacte de gouvernance). Sans oublier une collégialité de tous les DGS et secrétaires de mairie. Résultat : l’adoption du pacte de gouvernance par chacune des communes puis par la M2M. Une satisfaction pour Fabian Jordan qui se souvient des réticences de départ sur la démarche – « de la réunionite ! », disaient certains. Dans le même esprit, il ne veut pas signer seul avec le préfet le CRTE mais associer aussi tous les maires. Au Sicoval (36 communes, 80 000 hab., 31), le pacte de gouvernance, adopté le 3 mai après l’avoir été par 35 des 36 communes, valide une démarche engagée dès 2015, lorsque Jacques Oberti est devenu président. « J’ai lancé un grand diagnostic de notre gouvernance qui avait atteint ses limites, explique-t-il. Durant deux ans, nous avons travaillé avec la chaire Optima de l’Université de Pau qui nous a beaucoup aidés pour remettre tout à plat. » Il s’agit de redonner toute leur place aux communes avec l’envie de s’investir de façon opérationnelle dans l’intercommunalité. Cela s’est traduit par la suppression des commissions thématiques, jugées trop politisées, et la création de 3 nouveaux espaces de débat. « Les élus municipaux se voient donc plus associés mais ce sont les élus communautaires qui décident au final », tient-il néanmoins à préciser. En premier lieu, les commissions territoriales (5 sur la base des territoires du plan local de l’habitat) abordent tous les sujets de leurs choix, en se réunissant une fois par trimestre, afin d’apporter leur « vision de terrain » à l’agglomération. Deuxième étage : les groupes opérationnels, créés à la suite des besoins remontés par les commissions territoriales, travaillent sur des projets précis (schéma de mutualisation, création d’une zone d’activités, etc.). « Ces groupes réunissent plus de la moitié des élus municipaux et donnent de vrais résultats, se réjouit le président du Sicoval. Cela permet de faire de la production concrète. » Enfin, 5 comités stratégiques réunissent les seuls élus communautaires sur les grandes politiques de l’agglomération. Ayant un rôle d’intermédiaire entre les instances stratégiques et opérationnelles, la conférence des maires regroupe le président, les membres du bureau, les 36 maires et leurs adjoints si un sujet les concerne. Dans les métropoles ou les intercos XXL, adopter un pacte de gouvernance apparaît encore plus nécessaire. Nantes Métropole a ainsi poussé davantage l’exercice dans son pacte avec plus de partage entre les élus et un renforcement des instances de proximité. La gouvernance du Grand Reims (143 communes, 300 000 hab., 51) a été élaborée de manière participative dès sa création en 2017. Une nouvelle charte, votée fin 2020, précise ses instances de gouvernance et prévoit aussi un droit de veto pour les maires sur les décisions concernant leur commune. Enfin, la communauté Pays Basque a élaboré un nouveau pacte pour renforcer la proximité et la représentativité de ses territoires  (lire ci-dessous). Autant de situations différentes mais avec les mêmes besoins d’associer les maires aux décisions.

 

TÉMOIGNAGE
Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne
et président de la communauté d’agglomération Pays Basque
(158 communes, 318 000 hab., 64)
« Le pacte nous lie, nous oblige et nous projette dans l’action »
À la création de la communauté, en 2017, les 10 anciens EPCI sont devenus des pôles territoriaux qui se réunissent en commissions territoriales, avec élus communautaires et municipaux. Avec notre pacte de gouvernance, adopté en juillet 2020, ces commissions disposent d’une capacité à saisir les autres instances sur les grandes politiques communautaires et d’un pouvoir d’initiative pour faire émerger des projets à l’échelle du pôle. Elles peuvent aussi proposer l’attribution de subventions pour l’animation de la vie locale. En amont, notre pacte a été débattu dans les instances communautaires (conseil exécutif, conseil permanent et commission territoriale). Une trentaine de réunions ont été nécessaires pour aboutir à un consensus. Certaines formules ont été discutées à la virgule près. Puis, le pacte a été voté à une écrasante majorité en ce début de mandat, avec l’adhésion des nouveaux élus communautaires. Il peut toujours y avoir des remous mais ce pacte nous lie, nous oblige et nous projette dans l’action. Nous avons aussi créé 10 mandats de conseillers délégués ­territoriaux. Référents de chaque pôle, ils font partie intégrante du conseil exécutif. Ainsi, les élus territoriaux sont au cœur du dispositif aux côtés des élus en charge d’une thématique. »
n°391 - JUIN 2021