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Maires de France


01/06/2019
Europe

Les dossiers locaux sur la table de la nouvelle Commission européenne

Environnement, social, services publics..., la nouvelle Commission européenne hérite de chantiers qui auront un impact capital sur les collectivités locales.

Nathalie STEIWER
Illustration
© Mauro Bottaro/EC/Audiovisual Service
Les 20 et 21 juin, les chefs d’État et de gouvernement européen doivent définir la feuille de route de la Commission européenne issue des élections, avec un «programme stratégique » pour la mandature 2019-2024. Or, de nombreuses réformes législatives en instance d’examen attendent déjà la future Commission et concernent les collectivités locales. Une ébauche de menu a déjà été présentée, fin avril, par la Commission présidée par Jean-Claude Juncker, dans des «recommandations » en forme de testament politique. Les chefs d’État européens, réunis à Sibiu en Roumanie le 9 mai, ont ensuite fixé «dix commandements » pour l’Europe. Ce surnom, trouvé par les diplomates européens, est d’autant plus ironique qu’au-delà d’un appel à l’unité européenne, les ambitions restent modestes. Elles visent surtout des objectifs restés jusqu’ici dans les limbes, entre un appel à une politique industrielle plus offensive et des promesses de solidarité face aux flux migratoires. Aucun engagement n’a été pris pour adopter rapidement le budget européen, ce qui laisse présager des retards en 2020 pour démarrer les projets locaux financés par l’Union européenne. 

La Commission a prévu un budget de 1 134 MdsE pour 2021-2027, toujours en négociation depuis mai 2018.

Négociations financières. Le « cadre financier pluriannuel », qui définit les priorités financières de l’Union sur sept ans, est en négociation depuis mai 2018. En novembre dernier, le Parlement européen a adopté une position de négociation qui ferait passer le budget prévisionnel à 1 324 milliards d’euros (soit 1,3 % du PIB européen) au lieu des 1 134 milliards proposés par la Commission. Juridiquement, les nouveaux eurodéputés ne sont pas liés par leurs prédécesseurs, mais un retournement complet de situation est rare. 
Dans tous les cas, les négociations patinent déjà au Conseil entre les gouvernements européens qui veulent un budget conséquent pour la politique régionale (pays de l’Est), ceux qui défendent la politique agricole commune (la France) et les pays dits «hanséatiques » qui plaident pour une réduction du budget (Pays-Bas, Suède…). Le montant des aides aux régions, à l’agriculture ou encore dédiées à l’insertion sociale dépendra de ces tractations. 

L’« effet Greta ». Avant le Sommet de Sibiu, les maires de 210 grandes villes européennes avaient adressé une lettre ouverte aux chefs d’État européens en demandant que l’Union s’engage à ramener à zéro le niveau des émissions de gaz à effet de serre en 2050. «Les milliers de jeunes manifestant chaque semaine dans les rues des villes européennes et du monde entier nous rappellent l’inadéquation de notre réponse au changement climatique », rappelaient les maires. L’engagement en faveur de la neutralité carbone d’ici 2050 a été défendu à Sibiu par la France et sept autres pays, mais il a été rejeté notamment par l’Allemagne.
Malgré «l’effet Greta Thunberg » attendu sur les jeunes électeurs, le passage consacré au changement climatique dans la déclaration reste évasif. Une simple « note de bas de page sur une arrière-pensée », dénonce Greenpeace. Pour l’heure, l’Union s’en tient donc à l’accord de Paris de 2015 : réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030. La prochaine Commission devra batailler si elle veut aller au-delà ou même mettre en œuvre ce qui a déjà été promis. 
Préserver les ressources. La Commission Juncker plaidait pour un développement accru de l’économie circulaire. Selon elle, il faudrait un nouveau plan d’action centré sur l’utilisation des ressources dans les secteurs qui en font un usage intensif. Forêt, agriculture, bio-industrie sont concernées. Le commissaire européen à l’environnement, Karmenu Vella, avait annoncé, en mai, des «lignes directrices » sur l’intégration des services écosystémiques dans le processus de décision de l’Union ainsi que sur les infrastructures vertes. Une liste des « travaux en cours » rappelle aussi que le Parlement européen et le Conseil ne sont pas encore arrivés à un accord définitif sur la directive eau potable, qui devait normaliser la composition des conduites d’eau et imposer un accès public pour tous à l’eau potable.

Égalité sociale. Le «testament » politique de Jean-Claude Juncker met l’accent sur le volet social de l’Europe, laissé pour compte de sa législature en grande partie dominée par le Brexit et la question migratoire. Les recommandations regrettent entre autres l’élargissement de la fracture sociale et technologique entre les zones rurales et urbaines européennes. 
Or, la prochaine commission héritera d’une politique de cohésion sans l’« agenda rural », qu’avaient réclamé l’AMF (1) et d’autres représentants des élus locaux européens. 
« L’accès à un logement social, abordable et efficace du point de vue énergétique est un défi, constate également la Commission Juncker. Près de 10 % des foyers dépensent plus de 40 % de leurs revenus pour le logement. » Or, il n’y aura pas d’avancée en matière de logement et de mixité sociale tant que les services publics seront perçus comme des exceptions aux règles européennes de concurrence, prévient le président du Comité européen des régions, Karl-Heinz Lambertz. 
Encadrement des subventions. La nouvelle commission hérite justement de la patate chaude : le bilan des règles de concurrence encadrant les différentes formes d’aides d’État. Les régimes actuels d’exception ont été prolongés jusqu’en 2020 et 2022, en attendant une analyse de l’impact des règles actuelles et une éventuelle révision d’ici fin 2019. 
La liste des tâches de la nouvelle commission est donc longue avant même qu’elle n’ait délimité son propre agenda. La Commission Juncker avait, pour sa part, repris 44 propositions de ses prédécesseurs et présenté 471 nouvelles propositions législatives. Parmi celles-ci, 348 propositions ont été approuvées par le Parlement européen et le Conseil. Une dizaine sont encore en négociation, dont le cadre budgétaire.    
(1) www.amf.asso.fr (réf. BW39360).


Les dates clés après l’élection
20 et 21 juin : Sommet européen consacré à l’agenda stratégique de l’Union européenne pour 2020-2024.
24 juin : annonce de la composition des groupes politiques au Parlement européen.
1er juillet : fin de la 8e législature du Parlement européen.
2 juillet : constitution du nouveau Parlement européen (élection du président du Parlement, des 14 vice-présidents et des questeurs ; décision sur le nombre des commissions parlementaires permanentes).
Juillet : élection du président de la Commission en plénière du Parlement européen.
Septembre-octobre : audition des candidats commissaires par le Parlement européen.
Octobre : élection de la nouvelle commission européenne en plénière du Parlement.
31 octobre : date butoir pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. 

trois questions à… 
Karl-Heinz Lambertz, 

président du Comité européen des régions
« Donner plus de poids aux collectivités »
Quelles devraient-être les priorités de la prochaine Commission européenne ?
Il faudrait d’abord renforcer la dimension démocratique de l’Union européenne. L’un des moyens est de donner plus de poids aux collectivités territoriales au sein du processus de décision. Il faudrait aussi sensibiliser davantage les jeunes, parce que c’est de leur vie dont on parle. C’est un grand défi parce qu’il faut relever les grands enjeux de l’avenir de l’humanité et du développement durable. Et, en même temps, faire attention parce que le conflit entre la fin du monde et la fin du mois peut-être très dur, comme on le voit en France. 

Avez-vous aussi des priorités législatives ?
C’est une mauvaise idée de retirer des compétences à l’Union européenne pour les rendre aux États, comme le souhaiteraient certains populistes. Le problème est la densité de législation. L’Europe ne devrait s’occuper que des questions globales, sans aller dans les détails, parce qu’elle se prive alors d’adapter les choses aux réalités de terrain, ce qui est important pour les collectivités territoriales. 

Comment impliquer davantage citoyens et collectivités locales ?
Nous avons lancé un appel avec le président du Comité économique et social pour des dialogues citoyens plus structurés. Plusieurs points doivent être améliorés : la participation des citoyens, les sujets abordés et la manière de poser les questions et surtout le suivi. S’il y a des consultations sans suivi, la colère est encore plus grande. Le Comité européen des régions est l’endroit où on peut faire un focus sur les intérêts locaux. Jean-Claude Juncker ou son successeur ne peuvent pas téléphoner tous les jours à 100 000 maires pour leur demander leur avis. Il faudrait que les collectivités locales soient entendues au début de la procédure, avant les propositions et non après, lorsque la Commission européenne est déjà sur la défensive. Elles doivent aussi être entendues à la fin du processus législatif, lors des «trilogues » entre la Commission, le Parlement et le Conseil. Sinon, le risque est de boucler une nuit de négociation par des compromis boiteux, sans vérifier leurs impacts sur la réalité de terrain. De leur côté, les représentants locaux et régionaux devraient s’investir plus fortement pour représenter l’Europe. Il faudrait casser ce rapport : «nous ici, eux à Bruxelles ». 

Sécurité : un forum européen créé « par et pour l’élu »
Créé il y a plus de trente ans, le Forum européen pour la sécurité urbaine est devenu un acteur incontournable du débat entre élus. Entretien avec sa déléguée générale.

Elizabeth Johnston est arrivée à la sécurité urbaine via son intérêt pour le développement social, «en partant du constat que la sécurité est aussi un enjeu de justice sociale ». Aujourd’hui, elle est déléguée générale du Forum européen pour la sécurité urbaine, l’Efus (1) selon son acronyme anglais. L’ONG, née dans les années 1980, «était dès le départ locale et européenne, raconte-t-elle. Elle a été créée par des élus locaux pour les élus locaux et immédiatement à une échelle européenne, ce qui est assez visionnaire à l’époque. » 
Trente ans plus tard, le Forum compte environ 250 membres : villes, régions et d’autres autorités sub-nationales. «Nous avons en général huit à dix réseaux thématiques qui travaillent en parallèle en fonction des demandes des membres. » L’expérience des quinze chargés de mission du Forum permet aussi de «croiser » les demandes individuelles des élus et les expériences existantes. 
Certains réseaux sont mis en place dans le cadre d’appels à projets lancés par la Commission européenne. Le financement européen permet alors de faire travailler une dizaine de villes ensemble pendant un à deux ans sur des thématiques telles que la prévention de la radicalisation, la violence faite aux femmes ou le rôle du sport dans la prévention. Avoir des fonds européens «permet d’apporter aux collectivités une expertise extérieure, de faire des visites d’études chez les unes ou les autres ou de les faire bénéficier d’un accompagnement par des universitaires ou des ONG », commente Elizabeth Johnston.

Projets pilotes
Le Forum est un moyen de «développer des connaissances mais de plus en plus aussi de les mettre en œuvre avec des projets pilotes comme des campagnes de communication ou de nouveaux outils de prévention », constate Elizabeth Johnston. L’ONG a soutenu récemment plusieurs actions liées aux relations entre la population et la police, comme un atelier de bande dessinée avec d’anciens détenus, des policiers et des jeunes. Plusieurs ateliers ont eu lieu à Barcelone sur la question de la gestion de la vie nocturne. 
Trente ans après sa naissance, le Forum est devenu un acteur quasi-incontournable du débat européen sur la sécurité urbaine et sur la prévention de la radicalisation. Avec d’autres, «nous avons contribué à ce que la sécurité urbaine devienne une thématique de l’agenda urbain de la politique de cohésion, ce qui n’était pas évident au départ parce que le sujet n’est pas culturellement dans le champ de vision de la direction générale pour la politique régionale de la Commission européenne ». 
Anticipant l’arrivée de la nouvelle Commission européenne, les membres de l’Efus ont adopté un «Manifeste des villes : sécurité, démocratie et villes » pour revendiquer une approche pragmatique alliant prévention, sanction et cohésion sociale.   
(1) https://efus.eu/fr/

Selon Elizabeth Johnston, l’EFUS «permet d’apporter aux collectivités une expertise extérieure, de faire des visites d’études chez les unes ou les autres ».

En bref
Patrimoine européen
Les ministres des États membres de l’UE en charge de la Culture et des Affaires européennes ont adopté, le 3 mai, une déclaration sur la préservation du patrimoine. Après l’incendie de Notre-Dame de Paris, ils s’engagent à créer un réseau de compétences et à mobiliser les jeunes volontaires européens mais aussi à faciliter la mobilisation des ressources financières existantes pour les questions liées à la sauvegarde du patrimoine en péril. 
Ports et services publics
Dans deux arrêts du 30 avril 2019 relatifs à la gestion des services portuaires à Brest, la Cour de justice européenne estime que les exonérations fiscales dont bénéficient des entreprises exerçant des activités de services publics ne constituent pas une « compensation de mission de service public ». Selon la Cour, les États n’ont pas de compétence exclusive pour déterminer si un service d’intérêt général revêt un caractère économique ou non. Dans le cas précis, les exonérations fiscales sont estimées comme des aides d’État et devront être remboursées. 
La Moselle, un eurodépartement ?
Le 9 mai, les élus de la Moselle ont adopté un rapport revendiquant la volonté de la collectivité de devenir un «Eurodépartement » doté de nouvelles compétences. Elle a écrit en ce sens au chef de l’État. Elle s’appuie sur le droit à la différenciation, en cours de discussion au Parlement, et sur le Traité d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier dernier.

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