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Maires de France


Interco et territoires
01/04/2019
Environnement

Une cure d'austérité pour les nouveaux programmes des agences de l'eau

Mises à la diète budgétaire par l'État, les agences de l'eau ont dû recentrer leurs aides dans le cadre du 11e programme d'intervention pour la période 2019-2024.

Fabienne NEDEY
Illustration
© AESN/P. Bourguignon
L’élaboration des programmes d’intervention des agences de l’eau pour les six ans à venir (2019-2024) a été un exercice particulièrement épineux, guidé par trois priorités : la restauration des milieux aquatiques et de la biodiversité, la solidarité territoriale, l’adaptation au changement climatique. Le champ d’action des agences s’est élargi, alors que leurs moyens sont plus que jamais fragilisés. Pour rappel, la loi de finances pour 2019 a abaissé le plafond de ressources des agences de l’eau, en y intégrant par ailleurs les contributions annuelles des agences de l’eau aux opérateurs de la biodiversité. Ainsi, de 2019 à 2024, les agences percevront des redevances pour un montant maximal de 12,63 Mds€. Soit 2,105 Mds€ par an, au lieu de 2,3 Mds€ par an comme cela était encore possible lors du précédent programme. Conséquence inévitable de ces modifications : les budgets d’intervention sont en baisse pour toutes les agences (– 12 % en moyenne, variant selon les bassins). « Sur le bassin Seine-Normandie, concrètement, c’est 100 M€ par an en moins pendant six ans », témoigne Nicolas Juillet, maire de Saint-Lupien (10), membre du comité de bassin Seine-Normandie et président de la commission permanente des programmes et de la prospective.

Les agences sont prises en tenaille puisque, en parallèle, elles doivent désormais financer non seulement l’eau, la biodiversité, mais aussi les parcs nationaux et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage… En outre, la première phase des Assises de l’eau, organisée en 2018 par le gouvernement, a mis l’accent sur la relance des investissements pour le renouvellement des réseaux. De nouvelles missions sont donc encore venues s’ajouter à la « priorité des priorités » du 11e programme : soutenir l’atteinte du bon état des masses d’eau au plus tard en 2027 conformément à la directive cadre sur l’eau (DCE).
Dans ce contexte, le redéploiement des enveloppes se fait plutôt au profit du grand cycle de l’eau. Les milieux tirent leur épingle du jeu, avec un maintien ou une augmentation des aides pour les actions de protection de la biodiversité, les zones d’expansion des crues, les continuités écologiques… 

Actions globales
Mais le respect des obligations européennes sera très difficile. « La France ne sera pas au rendez-vous de 2027 », prévient André Flajolet, maire de Saint-Venant (62), président du comité de bassin Artois-Picardie, et président de la commission transition écologique de l’AMF. L’élu s’irrite du « non-sens économique » de décisions qui ne tiennent compte ni de l’effet de levier pour l’économie des subventions des agences (1 € d’aide génère 3 € d’investissement), ni des retombées pour l’État des travaux réalisés (TVA, charges sociales, impôts sur les sociétés…), ni des impacts sur l’emploi liés directement à la baisse des mises en chantier (40 000 personnes devraient être mises au chômage dans le secteur des travaux publics), ni des pénalités de plusieurs centaines de millions d’€ auxquelles la France s’expose pour non-respect des directives européennes.
Concrètement, le contenu et les principes d’attribution des aides du 11e programme diffèrent selon les agences. Mais on relève certains traits communs : réduction ou disparition de nombreuses aides liées au bon fonctionnement d’équipements ou de services, retrait du financement de certains secteurs comme l’assainissement non collectif, baisse importante des taux d’aide, critères de sélectivité accrus, etc. Les agences entendent privilégier les interventions dans le cadre de contrats, permettant d’associer plusieurs actions dans une logique de gestion globale de l’eau, plutôt que les aides ponctuelles. On note par ailleurs une hausse très nette des mécanismes de conditionnalité des aides. Plusieurs agences ont ainsi renforcé les critères de gestion durable des services imposés aux collectivités qui bénéficient de subventions : critères classiques comme l’atteinte d’un bon niveau de connaissance du patrimoine ou le renseignement du portail des données sur les services d’eau et d’assainissement (SISPEA). Mais aussi apparition d’un critère de prix minimum de l’eau. En outre, une agence affiche son intention d’attribuer en priorité ses aides à des collectivités ayant transféré les compétences eau et assainissement à l’échelon communautaire. 
Sans conteste, dans tous les bassins, c’est le petit cycle de l’eau qui subit les baisses de soutien les plus drastiques. « Le retard pris sur ces missions de base est grave, d’autant que la disponibilité de la ressource est de moins en moins évidente », souligne André Flajolet. L’assainissement est notamment concerné : le non-collectif est presque abandonné, tandis que les aides à l’assainissement collectif subissent des coupes franches. Certes, les plus gros investissements pour la mise aux normes des stations d’épuration par rapport à la directive eaux résiduaires urbaines (DERU), dont les objectifs auraient dû être atteints depuis une quinzaine d’années, ont été faits dans le cadre du 10e programme. Une réduction de voilure sur ce volet n’est donc pas illégitime. Néanmoins, on occulte un peu vite le chemin qui reste à faire s’agissant des stations de petite et moyenne taille, sur lesquelles un contentieux européen est d’ailleurs ouvert. Il concerne la mise en conformité de 373 agglomérations françaises de plus de 2 000 équivalent-habitants. Le gouvernement avance qu’il n’en resterait plus « que » 164 non conformes et s’est donné jusqu’en 2022 pour solder ce dossier.

Hausse des tarifs
Il convient par ailleurs de souligner que les objectifs épuratoires européens sont sur le point d’être renforcés, en ciblant de nouveaux polluants (résidus médicamenteux…). Et il ne faut pas omettre non plus que des investissements seront nécessaires pour respecter l’engagement de rendre la Seine « baignable » pour les JO de 2024. « La réduction des capacités financières des agences se traduira obligatoirement par une hausse des tarifs de l’eau », observe Bertrand Pancher, député de la Meuse. La seule alternative étant sinon l’abandon pur et simple de projets d’investissements qui sont essentiels pour le développement des territoires.
Parmi les autres fils conducteurs de ce 11e programme, on note le recentrage sur la solidarité territoriale. Les collectivités rurales bénéficient en effet de bonus sur les aides existantes ou d’aides réservées. De plus, suite aux conclusions de la première partie des Assises de l’eau, des conventions sont passées avec la Banque des territoires (Caisse des dépôts) pour combiner les aides des agences avec une offre de prêt à long terme. Mais attention, « ces prêts ne sont pas bien adaptés pour le renouvellement des réseaux, pour lequel il faut consentir un effort régulier », rappelle Régis Taisne, chef du département du cycle de l’eau à la FNCCR.
Ce tour d’horizon des priorités des agences pour les années à venir ne saurait être complet sans évoquer le volet adaptation au changement climatique. Il s’agit d’un effort important : les agences y consacreront annuellement 500 M€, soit 3 Mds€ sur six ans. Il prend essentiellement la forme d’une relecture des aides existantes, accompagnées d’incitations allant jusqu’à la conditionnalité (peu ou pas d’aides nouvelles). L’agence Rhône-Méditerranée et Corse y consacrera 40 % de ses enveloppes, qu’il s’agisse de celles dédiées aux économies d’eau, à la lutte contre les fuites sur les réseaux, aux bonnes pratiques agricoles, à la gestion pluviale, etc. De son côté, Seine-Normandie propose des contrats «eau et climat », dans le cadre desquels les maîtres d’ouvrage devront s’engager sur au moins trois projets d’adaptation au changement climatique.

Les élus interpellent l’État sur la phase 2 des Assises de l’eau
Au sujet de la seconde phase des Assises de l’eau, sept associations d’élus, dont l’AMF, ont fait part au ministre de la Transition écologique (1), en février, que la gestion durable de l’eau « nécessite une approche ­globale intégratrice que nous ne retrouvons pas dans l’organisation proposée ». Celle-ci prend la forme de groupes de travail sectoriels, dont les « enjeux et objectifs n’ont pas été ­travaillés avec les partenaires ». Les associations demandent la mise en place d’une instance d’échanges spécifiques réunissant l’État et les associations nationales de collectivités pour « travailler sur l’organisation nationale et territoriale des Assises et sur les questions structurantes de ­gouvernance et de financement ». 
Un groupe de travail placé, présidé par Jean Launay, président du Comité national de l’eau, a depuis été mis en place. (1) www.amf.asso.fr (réf. BW39295).


A savoir
La première séquence des Assises de l’eau, organisée du 27 avril au 25 mai 2018, avait pour objectif de consulter tous les élus sur les enjeux de réseaux d’eau et d’assainissement. Elle a abouti à 17 mesures pour relancer l’investissement (1). La deuxième séquence des Assises (novembre 2018 – printemps 2019) aborde le thème : « Changement climatique et ressource en eau : comment les territoires, les écosystèmes et l’ensemble des acteurs vont-ils s’adapter ? » Cette étape, rythmée par des ateliers sur les territoires, la réunion de groupes de travail et plusieurs autres comités de pilotage, devrait contribuer à la mise en œuvre de plusieurs mesures du plan biodiversité, notamment sur les milieux humides et la gestion des eaux fluviales.

(1) www.ecologique-solidaire.gouv.fr (rubrique Presse).  
 

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