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07/11/2025 NOVEMBRE 2025 - n°439
107e Congrès de l'AMF 2025 AMF Décentralisation Élections Finances Sécurité - sécurité civile

David Lisnard : « Les crises ont démontré la solidité de l'échelon communal »

À la veille du Congrès de l'AMF (17-20/11), son président, David Lisnard, maire de Cannes (06) et président de la communauté d'agglomération Cannes Lérins, plaide en faveur d'une réorganisation des pouvoirs publics fondée sur la liberté et la responsabilité locale. L'État doit, selon lui, garantir l'autonomie financière et fiscale des collectivités, et confier un pouvoir règlementaire aux élus.

Propos recueillis par Bénédicte Rallu et Xavier Brivet
Selon le président de l'AMF, David Lisnard, « le régime simplifié d'exception doit devenir le droit commun pour tous, pour tous les décideurs, dont les collectivités ».
© Victoria Viennet
Selon le président de l'AMF, David Lisnard, « le régime simplifié d'exception doit devenir le droit commun pour tous, pour tous les décideurs, dont les collectivités ».

• Le thème du 107e Congrès de l’AMF est «Pour les communes : liberté ! » Ces libertés sont-elles menacées ?

Ce n’est pas une menace mais une réalité : les libertés locales se réduisent. Les collectivités sont confrontées à de plus en plus de contraintes, de procédures obligatoires, de prélèvements financiers de l’État, d’entraves à l’action, de complication et de codification de la décision publique. Ceci, au détriment de l’efficacité de l’action publique, du service rendu à l’usager et du coût facturé au contribuable. Cela est vrai pour tout le système public : il y a plus de dépense publique qu’auparavant, plus de prélèvements obligatoires et des services publics défaillants – 20 % des services d’urgence hospitalière n’assurent pas la continuité du service, par exemple.

Le débat sur plus ou moins de moyens est un faux débat. La vraie question est «quelle est la qualité de l’organisation des pouvoirs publics qui peut nous permettre de défendre en même temps l’usager, le contribuable et l’agent du service public ? »  
 

• Pourquoi sommes-nous dans cette situation ?

Cela est dû à la sur-administration qui est le fruit d’une sur-règlementation qui veut tout prévoir, tout encadrer, tout autoriser. Nous sommes passés d’un régime de liberté et de responsabilité à un principe d’autorisation préalable dans beaucoup de domaines. Tous les élus d’expérience vous le disent : aujourd’hui, le même projet est plus coûteux, plus compliqué et plus long à mener qu’il y a vingt ans.

Je note d’ailleurs que lorsque l’État est confronté aux règles qu’il nous impose, il s’en exonère et adopte des lois ­d’exception, comme ce fut le cas pour l’organisation des Jeux olympiques ou la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Ce régime simplifié d’exception doit devenir le droit commun pour tous les décideurs, dont les collectivités.
 

• Le Premier ministre veut engager un nouvel acte de décentralisation. Cela vous satisfait-il ?

L’AMF, dont la vocation est de promouvoir les libertés locales, se saisit de toute opportunité en faveur de la décentralisation. Encore faut-il que l’intention de décentraliser ne se traduise pas par de la recentralisation, comme cela a été le cas avec l’adoption de textes comme les lois Maptam [du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles] et NOTRe [du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République], qui ont consacré une approche centralisatrice, le culte des grands ensembles et créé de nouveaux échelons producteurs de normes.

André Laignel [premier vice-président délégué de l’AMF] et moi avons adressé un courrier au Premier ministre pour lui rappeler les principes structurants de la décentralisation au premier rang desquels la subsidiarité ascendante, la libre administration, l’autonomie financière et fiscale des collectivités. La réflexion doit s’engager sur ces bases et ne pas se polariser sur des transferts de compétences. Nous ne faisons pas de procès d’intention au chef du gouvernement. Nous attendons sa réponse. Nous sommes dans un esprit collaboratif et constructif. Cela ne nous empêche pas d’être lucides sur le contexte dans lequel l’exécutif nous propose cette réflexion.
 

• Que voulez-vous dire ?

Il y a tout d’abord la réalité financière. L’État, affamé financièrement, cherche dans l’urgence des crédits pour présenter une feuille de route budgétaire acceptable sur le plan européen. Il y a donc un danger que, sous couvert de grands principes décentralisateurs, l’État transfère aux collectivités des missions, des compétences et des charges non financées. Cela, nous le refusons. Il est par ailleurs impossible aujourd’hui de porter un débat sur l’autonomie fiscale des collectivités, qui se traduirait par des impôts en plus pour les Français. Cela est impensable car nous avons le record des prélèvements obligatoires.

Un impôt universel local, comme l’AMF le propose, n’aurait de sens que si, parallèlement, il y avait une baisse de la fiscalité nationale, ce qui n’est pas le cas. Il y a aussi une réalité politique : l’absence de majorité parlementaire rend difficile toute vraie réforme structurelle – un nouvel acte de décentralisation, par exemple – qui nécessiterait, de surcroît, des évolutions constitutionnelles. Enfin, la réalité électorale : les élections municipales, peut-être des législatives voire une élection présidentielle anticipée. Un calendrier peu propice pour engager une telle réforme.
 

• Le chantier a donc peu de chance d’aboutir ?

Ce contexte budgétaire, politique et électoral contraint ne facilitera pas la réalisation d’un nouvel acte de décentralisation. C’est pour cela que nous proposons à l’État de prendre une première mesure qui ne nécessite pas d’évolution constitutionnelle et serait une vraie révolution positive : transférer le pouvoir règlementaire – sauf dans le champ régalien – aux collectivités territoriales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

• Le gouvernement prévoit de nouveaux prélèvements financiers sur les collectivités en 2026. Faites-vous de leur suppression un préalable aux discussions ?

Si j’en faisais un préalable, nous claquerions tout de suite la porte. À chaque fois que l’État nous promet un nouvel acte de décentralisation, il procède dans le même temps à une recentralisation juridique et financière. C’est effectivement absurde. Les collectivités ont déjà largement participé à «l’effort de redressement des finances publiques ». Or, plus l’État nous ponctionne, plus il est en déficit ! Cela montre bien qu’un système hypercentralisé n’est pas performant.
 

• Quel sera, dans ce contexte, la tonalité du 107e Congrès de l’AMF, à la mi-novembre ?

Au-delà de notre réprobation face à la recentralisation et aux mesures financières injustes qui pénalisent les collectivités, il s’agira, comme l’an dernier, d’un congrès d’alerte et de propositions. L’AMF tiendra un discours franc vis-à-vis de l’exécutif et apportera ses solutions. Il ne s’agit pas de défendre le pré-carré des élus, l’AMF ne représente pas une corporation. Elle est une institution utile au pays.  

Quand nous défendons la commune, la liberté et la responsabilité locale, nous le ­faisons car nous pensons que c’est bon pour les finances du pays, l’efficacité des services publics, les services offerts aux usagers. La crise démocratique que nous vivons est avant tout une crise de l’exécution et de l’impuissance publique. L’État ne peut plus tout faire et il doit s’appuyer sur les collectivités en les libérant.
 

• Quel bilan tirez-vous du mandat 2020-2026 ?

C’est le mandat qui a démontré la solidité et la nécessité absolue de l’échelon communal, à travers sa capacité, malgré toutes les contraintes et difficultés, à répondre aux besoins des habitants lors des grandes crises sanitaire (le Covid-19), économiques (inflation, renchérissement des prix de l’énergie), sociales (les émeutes…) et politiques. «Les communes heureusement » – c’était le thème de notre Congrès l’an dernier – ont répondu présentes pendant ces six années. Les communes recousent le tissu social tous les jours, elles constituent un creuset républicain, un lieu d’unité locale et nationale où l’on essaie de lutter contre les replis identitaires, elles apportent tous les services de proximité aux habitants.    

Ce mandat est, dans le même temps, celui de la difficulté d’agir et de concrétiser des projets pour les raisons déjà évoquées, qui ont découragé les élus et, parfois, provoqué des tensions au sein des exécutifs municipaux. C’est aussi le mandat de l’hyper-exposition des élus à la violence et à l’incivisme de certains administrés. C’est enfin, logiquement, le mandat du record des démissions : en moyenne, une quarantaine de maires ont jeté l’éponge chaque mois, depuis 2020. C’est quatre fois plus par rapport au mandat de 2008 !
 

• Craignez-vous une crise des vocations ?  

Il existe une force civique puissante en France. Nous avons 500 000 élus locaux dont l’immense majorité sont des bénévoles. C’est une chance et une ressource inestimable au quotidien. Beaucoup de jeunes s’engagent dans l’action caritative et humanitaire. Beaucoup cherchent un sens à leur vie et l’action locale peut y répondre. Beaucoup de retraités ont aussi envie de transmettre des choses. Il y a une vraie énergie à mobiliser.

En dépit de la complexité du mandat liée à la bureaucratie et à la difficulté d’agir, de l’insécurité juridique des élus, de la pression parfois violente d’habitants, la France est un pays qui a été capable, lors des dernières élections municipales, d’avoir un million de candidats. Nous verrons en mars prochain.
 

 • Que diriez-vous à un jeune pour l’inciter à s’engager ?

Je lui ferais part de la satisfaction et de la joie que procure le fait de servir, de l’honneur que l’on ressent d’être mandaté par ses concitoyens. Malgré toutes ses difficultés, l’action municipale a cela de magnifique qu’elle est incarnée, physique. Elle se vit de façon pleine et entière dans son terroir, sa localité, son village, sa ville, avec les habitants.

Exercer un mandat, c’est utile, c’est concret, c’est ce qui procure un sentiment de réussite sociale. La vie ne se vit pas uniquement derrière un écran, elle est faite de rencontres, d’échanges, d’humain, qu’il s’agisse de prendre en charge une situation de détresse ou de canaliser des énergies. Le mandat municipal est fantastique sur ce plan.
 

• La réforme du statut de l’élu en cours de discussion comporte-t-elle des mesures suffisantes ?

Ce texte est important, il est nécessaire même s’il ne suffira pas à régler le problème des freins au pouvoir d’agir des maires. Mais il est impératif d’améliorer les conditions d’exercice du mandat. Il règle des problèmes qui, aujourd’hui, peuvent bloquer des vocations : la conciliation du mandat avec la vie étudiante, la vie professionnelle et la retraite, la vie de famille. Il faut aussi régler l’insécurité juridique des élus. Être honnête, précautionneux, compétent et bien entouré ne suffit pas aujourd’hui pour être à l’abri des ennuis juridiques, voire judiciaires.

Le problème repose notamment sur le délit de prise illégale d’intérêts qui est une qualification pénale très ambiguë, interprétative et, en cela, dangereuse car porteuse d’arbitraire.

Avec la mobilisation de l’AMF, des associations départementales de maires et des parlementaires, je ne doute pas que nous parviendrons à trouver le bon équilibre pour la liberté d’action des élus dans le respect de l’État de droit.
 

 Où commence et où s’arrête le rôle des polices municipales ? 
« La création d’une police municipale et son armement restent facultatifs et reposent sur la volonté des élus. S’agissant des compétences, l’AMF a effectué un excellent travail avec le ministère de l’Intérieur dans le cadre du Beauvau des polices municipales. Nous attendons l’examen du projet de loi.
Dans nos propositions, nous nous inspirons du statut des gardes champêtres qui ont un pouvoir d’investigation plus étendu que celui des policiers municipaux tout en restant indépendants de la tutelle des procureurs. La réforme donnerait des missions ­supplémentaires potentielles aux policiers municipaux concernant une liste de délits, avec la possibilité d’utiliser le dispositif des amendes forfaitaires délictuelles. Dans tous les cas, les polices municipales ne doivent pas devenir les supplétives voire les ­palliatives de la police nationale et de la gendarmerie. » 

 

 Les maires sont-ils suffisamment formés à la gestion de crise ?
« Non, c’est pourquoi j’ai instauré, dès mon élection à la présidence de l’AMF, en novembre 2021, un groupe de travail sur les risques majeurs et nous avons recruté une chargée de mission sur le sujet. Nous devons collectivement nous protéger. Le maire est toujours en première ligne. Il faut mettre en place des procédures, élaborer des plans de prévention, des plans de sauvegarde adaptés à tous les types d’aléas.
L’AMF a fait un gros travail d’analyse des risques et de propositions d’organisation, que nous allons encore amplifier. Nos élus référents, Sébastien Leroy et Éric Menassi, et notre chargée de mission sont à la disposition des associations départementales pour partager ces connaissances afin d’anticiper, gérer, puis réparer les crises. »  

 

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