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Maires de France


Interco et territoires
01/02/2020
Transports, mobilité, voirie

Les régions défendent leurs petites lignes ferroviaires

L'ouverture à la concurrence en 2021 pourrait contribuer à sauver les transports express régionaux qui ont un rôle structurant pour la mobilité et l'aménagement du territoire. Exemples dans le Grand Est et en Nouvelle-Aquitaine.

Christine CABIRON
Illustration
© Adobestock
Les TER ont coûté 8,5 MdE en 2017 La Cour des comptes a publié le 23 octobre 2019 un rapport sur les transports express régionaux (TER) à l'heure de l'ouverture à la concurrence. Chaque jour, SNCF Mobilités fait circuler 7 000 trains et 1 300 cars régionaux. Entre 2002 et 2017, les régions ont investi 3,3 Md€ dans le renouvellement du matériel roulant et 2,1 Md€ dans les infrastructures ferroviaires. Le coût total des TER (exploitation, investissements...) s'est élevé à 8,5 Md€ en 2017. Il a été pris en charge par les régions à hauteur de 88 %, tandis que la contribution des voyageurs s'est établie à 1 Md€. La Cour des comptes a également observé une baisse de la fréquentation liée à la dégradation de la qualité de service. En 2018, la non réalisation de l'offre de service s'élevait à 12,20 %, contre 2,3 % en 2012. Sur cette même période, la régularité est passée de 91,9 % à 90,4 %.
Chaque jour, hors Île-de-France et Corse, 900 000 voyageurs utilisent les transports express régionaux (TER) pour se déplacer. Les lignes les moins fréquentées représentent près de la moitié du réseau ferré. Si dans son rapport sur les TER (1), publié en octobre 2019, la Cour des comptes note un fort engagement des régions (2,1 Md€ d’investissement entre 2012 et 2017), elle pointe une dégradation de la qualité du service et une baisse globale de la fréquentation, notamment sur certaines petites lignes. « De nombreux trains sont occupés par moins de dix voyageurs et 285 gares accueillaient moins de trois voyageurs par jour en 2016 », note la Cour des Comptes. C’est pourquoi elle préconise la fermeture de ces services au profit d’autres solutions. Ces lignes peuvent « être gérées de façon plus économique par un exploitant autre que SNCF Mobilité », et certains trains « peuvent être remplacés par des cars, des minibus, des taxis réguliers ou à la demande », estiment les magistrats financiers. Le gouvernement doit annoncer un « plan d’urgence » pour ces petites lignes, mi-février (lire p. 9).
La fermeture des lignes peu fréquentées est en tout cas rejetée par la région Nouvelle-Aquitaine. Dans un communiqué publié le 24 octobre 2019, elle évoque un « rapport qui offre une vision caricaturale du TER » et qui « minimise voire élude » le rôle d’aménagement du territoire «Vue de Paris, une petite ligne coûte cher et ne sert à rien. Vue de Nouvelle-Aquitaine, ces lignes répondent au droit à la mobilité des habitants des zones rurales », explique Renaud Lagrave, vice-président régional en charge des transports et des infrastructures. C’est pourquoi dans cette collectivité de taille XXL (elle regroupe 12 départements et 5,9 millions d’habitants), les élus ont souhaité maintenir ces services. Y compris les moins fréquentés. «Ces lignes sont structurantes et desservent le territoire finement. Elles nous permettent de travailler avec les autres autorités organisatrices de la mobilité pour organiser des interconnections en milieu urbain et rural ». L’idée étant de rabattre les autres modes de déplacement vers le réseau ferroviaire.

 

La concurrence pourrait relancer le développement des petites lignes
À partir de 2021, des opérateurs privés pourront exploiter leurs trains sur le réseau ferroviaire français. Le Grand Est, Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur et les Hauts-de-France 
sont les premières régions qui lanceront, au cours du premier semestre 2020, des appels d’offres pour ouvrir à la concurrence certaines lignes de transports express régionaux (TER). 
Ce recours à des opérateurs alternatifs à la SNCF vise un triple objectif : réduire de 15 à 30 % les coûts d’exploitation des transports express régionaux, moderniser les infrastructures et améliorer la qualité de service en vue d’accroître la fréquentation des services ferroviaires. Et ce, grâce à un nouveau modèle de gouvernance. À ce titre, la Cour des comptes estime «indispensable » la clarification des rôles respectifs des régions, de la SNCF et de l’État dans le financement des infrastructures ferroviaires. Elle préconise de donner la possibilité aux régions d’en devenir propriétaires 
« afin de mieux maîtriser les choix de renouvellement, de développement, de suppression ainsi que les modèles de gestion et de maintnance ». En Allemagne, la libéralisation du rail – effective depuis 1996 – a porté ses fruits. Aujourd’hui, 450 opérateurs privés assurent environ 30 % du trafic régional. En vingt ans, l’offre a été augmentée en moyenne de 30 % et la fréquentation a progressé de 77 %. 

 

Nouvelle-Aquitaine : gagnerla bataille du report modal

Cette coopération avec les intercommunalités s’est traduite il y a un an par la création d’un syndicat mixte intermodal. Nouvelle-Aquitaine Mobilités est structuré autour de cinq bassins de vie et regroupe 26 autorités organisatrices. « Nous travaillons avec toutes les intercommunalités dont nous ne pouvons pas nous passer pour coordonner les offres de transport. » Le syndicat mixte a lancé une application mobile agrégeant toutes les offres de mobilité en Nouvelle-Aquitaine et qui calcule les itinéraires en temps réel. Ce syndicat mixte déploie aussi progressivement une billettique commune. «Nous sommes obligés de nous entendre car les usagers veulent une mobilité sans couture. Ils se moquent de savoir si c’est la Région ou une intercommunalité qui gère tel ou tel mode. Ils veulent pouvoir accéder à toutes les solutions de mobilité avec une seule carte et disposer d’information en temps réel, rappelle Renaud Lagrave. C’est comme cela que nous gagnerons la bataille du report modal. » En Nouvelle-Aquitaine, la fréquentation des TER augmente sans discontinuer depuis trois ans. En 2018, le nombre de voyageurs a encore progressé de 10 %. Chaque jour, 60 000 personnes se déplacent avec un train régional. «Si nous supprimons les petites lignes, elles reprendront leur voiture », prévient le vice-président régional. Cette hausse du trafic découle de plusieurs mesures. Tout d’abord, l’instauration de tarifications attractives. L’assemblée régionale a notamment créé en juillet 2017 un tarif « covoiturage en train ». Ce titre de transport incite à voyager à plusieurs. Il permet à deux, trois, quatre ou cinq personnes ne se connaissant pas forcément d’acheter en même temps un billet de train. Ce qui octroie des réductions de -20 à -50 %. «Ce tarif est l’un des plus utilisés », affirme Renaud Lagrave. 
L’engouement pour le train est aussi lié aux investissements décidés par la Région pour remettre d’aplomb le réseau ferroviaire. Depuis 2002, 515 millions d’euros ont été débloqués pour renouveler entièrement le matériel roulant. 85 millions d’euros ont été fléchés sur la modernisation des gares et des pôles d’échanges multimodaux. Enfin, et bien que ce soit en dehors de ses compétences, la Nouvelle-Aquitaine a débloqué 1,4 milliard d’euros pour rénover les infrastructures. « Pour sauver le réseau ferroviaire, nous devrons investir la même somme dans le prochain contrat de plan État-région (CPER) », souligne Renaud Lagrave. En avril 2019, l’assemblée régionale a voté un plan directeur d’investissements destiné à remettre à niveau et moderniser les infrastructures ferroviaires. Cette décision a fait l’objet d’un avenant au CPER 2015-2020. « Nous allons prioriser des travaux hors compétences à hauteur de 532 millions d’euros sur les 1,2 milliard d’euros nécessaires à la régénération du réseau ferroviaire de Nouvelle-Aquitaine, indique Renaud Lagrave. Cette première enveloppe financière nous permettra aussi de rouvrir trois lignes de voyageurs. » Parallèlement, la collectivité travaille avec la SNCF pour améliorer les offres de service, les horaires et la vitesse des trains. Résultats : les indicateurs de performance des TER de Nouvelle-Aquitaine sont sans commune mesure avec ceux présentés par la Cour des comptes. Dans cette région, le coût par voyageur est de 32 centimes (61 centimes au niveau national). Les recettes commerciales couvrent 21 % des dépenses de fonctionnement. Un taux qui se situe à 12 % en France. 

Coproduction dans le Grand-Est

Dans le Grand-Est aussi, les dessertes fines sont au cœur des préoccupations des élus. «Le rôle des TER dans l’aménagement des territoires est juste essentiel », résume Jean Rottner, le président de cette région qui compte dix départements et 5,5 millions d’habitants. Un territoire transfrontalier, composé à 90 % de communes rurales. D’où l’obligation de travailler en lien étroit avec les intercommunalités pour organiser la mobilité. Depuis 2018, des groupes de travail dédiés à la tarification, la billettique, l’information multimodale ont été mis en place. Une charte de l’intermodalité et des services à l’usager a été signée par 40 autorités organisatrices. « Les intercommunalités ont toute leur légitimité dans l’organisation de leur mobilité à l’échelle de leur périmètre. La responsabilité de la Région est de coordonner ces politiques avec les TER. » Une démarche inscrite au Schéma régional d’aménagement et développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Ce document prévoit un dispositif appelé DIRIGE (dispositif d’intervention régional d’intermodalité Grand Est), dont la finalité est d’accompagner financièrement les communes dans leur politique de déplacement. Soit en réalisant des pôles d’échanges dans les villes moyennes ou les bourgs structurants, soit en développant des services de mobilité : garages à vélos, aménagements de parkings, implantation d’un loueur de voitures partagées, développement de l’électro-mobilité…« Ces pôles d’interconnexion multimodaux permettent de désenclaver les territoires les plus ruraux. L’aménagement du territoire consiste à repenser tous les modes de déplacement de manière globale », rappelle Jean Rottner.  
Parallèlement, le Grand Est a pris plusieurs mesures pour rationaliser les coûts de fonctionnement du TER. Cela s’est traduit par la suppression de certains guichets en gare ou la réduction de leur amplitude horaire. « En échange, nous avons optimisé le réseau de distribution des titres de transport. Nous avons noué des partenariats avec les buralistes et installé des distributeurs de billets », explique Jean Rottner. 
Pour accroître la performance du train par rapport à la voiture, des arrêts ont été supprimés sur certaines lignes en heure de pointe. 
Cette recherche d’optimisation ne se traduira pas pour autant par la fermeture des petites lignes. Au contraire. Le Grand-Est a prévu un plan de sauvetage qui porte sur une dizaine de lignes en difficulté. L’idée : les régénérer ou les rouvrir. Pour cela, cette collectivité va jouer la carte de l’ouverture à la concurrence (lire p. 26). 

Ouverture à la concurrence et investissement

Un premier lot concernera sept lignes transfrontalières. La raison ? Répondre aux 170 000 personnes qui franchissent chaque jour la frontière pour aller travailler. « Nous avons acheté pour 375 millions d’euros de matériel roulant et nous assumons les investissements en lien avec les trois Länder allemands qui nous jouxtent. Sur trente ans, ils nous rembourseront au prorata des kilomètres parcourus sur leur territoire. » Un deuxième lot concernera la ligne entre Nancy, Vittel et Contrexéville, actuellement fermée. Ce marché intègrera la régénération de l’infrastructure, sa maintenance, son financement et l’exploitation ferroviaire. La ligne entre Épinal, Saint-Dié et Strasbourg sera, pour sa part, mise en appel d’offres, mais le contrat ne portera que sur l’exploitation du service. 
Jean Rottner souhaiterait même aller plus loin en passant un contrat avec l’État pour sécuriser sur le long terme les financements inhérents à l’entretien et à la modernisation des infrastructures. « Aujourd’hui, les collectivités territoriales investissent à la place de l’État », constate-t-il, en faisant référence aux travaux réalisés sur la ligne entre Épinal et Belfort ou encore à la modernisation de l’étoile ferroviaire de Mulhouse. « Six mois avant le début des travaux, l’État nous a informé qu’il n’y aurait pas d’engagement de sa part faute de financement… Nous ne pouvons plus dépendre de son bon vouloir. » C’est pourquoi le président du Grand Est ne rejette pas l’idée que la région devienne propriétaire des infrastructures ferroviaires régionales. « Cela nous permettrait de prendre des décisions qui ne seraient pas fondées sur le modèle unique de la SNCF. Nous pourrions ainsi réaliser des économies en matière de maintenance et de fonctionnement. » Néanmoins, avant de franchir le pas, Jean Rottner veut des garanties. « Il faut tout d’abord que l’État engage une remise à niveau des infrastructures. À la suite de quoi, nous pourrons discuter des responsabilités qui pourraient être données aux régions pour assurer leur maintenance ». 
En attendant, la régénération des dessertes fines du Grand Est a été estimée entre 800 millions d’euros et 1 milliard d’euros. «Cet investissement est décisif pour répondre aux attentes des citoyens en matière de transition énergétique des mobilités. Surtout à l’heure où il y a une appétence pour le train. » Dans cette région, la fréquentation des TER (170 000 voyageurs par jour) a progressé de près de 4 % entre 2017 et 2018.
(1)    www.ccomptes.fr/fr/documents/50398 

 


Les fermetures de petites lignes favorisentle report sur l’automobile
Lorsqu’une «petite ligne » ferroviaire est fermée, environ 40 % des usagers utilisent à nouveau leur voiture, selon une expertise réalisée par le cabinet Trans-mission pour le compte de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). La FNAUT (1) plaide donc pour le maintien et la régénération de ces dessertes fines. Dans un communiqué publié le 6 novembre 2019, elle indique que « le maintien d’une desserte ferroviaire est nécessaire aux activités économiques des villes moyennes et petites. Sa disparition renforce la concentration des activités dans les grandes agglomérations ». La FNAUT rappelle qu’en Allemagne, 700 kilomètres de lignes régionales et plus de 300 gares ont été remises en service depuis 1994 grâce à l’ouverture du marché à la concurrence. « En France, l’effort de rénovation ne porte que sur le réseau principal. Sur les petites lignes transversales et régionales, les trains sont ralentis sur 5 000 km. Or, 20 % des utilisateurs du TGV utilisent aussi un train TER sur leur trajet. »
(1) www.fnaut.fr/

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