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Maires de France
Interco et territoires
01/12/2019
Urbanisme

Sécurité des ponts : la question du financement demeure prégnante

Un rapport sénatorial alerte sur l'état des ponts en France et juge nécessaire un "plan Marshall" pour leur entretien. L'État n'investit pas assez selon les élus locaux.

Illustration
© Éric Chauvet/Cit'images
Le Sénat préconise d'instituer pour chaque pont un « carnet de santé » afin de suivre l'évolution de son état.
Cela n’arrive pas qu’aux autres ! Plus on avance dans le temps, plus l’état des ponts va se dégrader », prévient Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, à la tête de la mission d’information sur la sécurité des ponts instaurée après l’effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018. 
À la suite du drame de Mirepoix-sur-Tarn, le 18 novembre, qui a causé la mort de deux personnes, le gouvernement avait promis un geste à l’égard des collectivités lors du 102e Congrès des maires de France. Adopté le 26 novembre à l’Assemblée nationale, le projet de loi engagement et proximité permet au préfet d’autoriser les communes maîtres d’ouvrage à déroger à la règle de participation minimale de 20 % des financements publics pour certaines opérations d’investissement surtout « sensibles pour les collectivités ». Les opérations relatives aux ponts et aux autres ouvrages d’art en font désormais partie et pourront ainsi être financées en totalité par des subventions. Le gouvernement a aussi annoncé, le 4 décembre, au Sénat, la possibilité de créer au sein de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) un programme nouveau dédié à la sécurité des ponts.
Selon le rapport sénatorial sur l’état des ponts en France, rendu public le 27 juin dernier (1), l’enjeu est lourd : au moins 25 000 ponts seraient «  en mauvais état structurel » – dont 18 à 20 % appartiennent au bloc communal –, posant des « problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers ». 
Le rapport préconise le lancement d’un « plan Marshall », via un fonds d’aide aux collectivités (détentrices de 90 % des ponts en France), doté de 138 ME par an pendant dix ans, et propose d’engager une réforme structurelle pour «sortir d’une culture de l’urgence », avec trois leviers essentiels : un système d’information géographique (SIG) permettant un inventaire global, un « carnet de santé » pour chaque ouvrage et la prise en compte de leur amortissement dans la comptabilité publique. 

Mobiliser les ressources

Que restera-t-il de ce cri d’alarme ? Le 2 octobre, le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, répondant aux questions des sénateurs, reconnaissait une forme de responsabilité collective. Mais si les constats du rapport ne sont pas remis en cause, «on est encore loin de prendre la mesure des risques, sans véritable annonce du gouvernement », déplore Hervé Maurey. Concentrés sur les ouvrages de l’État, les efforts budgétaires – pourtant réels – semblent malgré tout insuffisants. Outre la hausse des crédits dédiés à leur entretien selon une trajectoire établie jusqu’en 2023, la loi d’orientation des mobilités (LOM), qui a été définitivement votée le 19 novembre, a acté la pérennisation du Conseil d’orientation des infrastructures, essentiel pour contrôler la mise en œuvre de la programmation. La LOM a aussi en partie sanctuarisé les ressources de l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (Afitf), créée en 2003 pour financer les interventions de l’État dans les infrastructures de transport, ainsi que dans les transports collectifs urbains et les équipements routiers.

Le Cerema veut mutualiser les bonnes pratiques de gestion
« Nous n’avons pas attendu ce rapport pour agir et alerter », souligne Georges Tempez, directeur des infrastructures au Cerema, à propos du rapport sénatorial de juin dernier. Il
« souscrit largement » à ses conclusions, tout en estimant ses recommandations «modestes », la réparation des ouvrages d’art exigeant « une autre échelle d’investissement ». Dès septembre 2018, le Cerema a publié un guide technique à l’usage des communes, et de leurs groupements sur la méthodologie de surveillance et d’entretien des ouvrages d’art routiers. L’établissement public vient aussi de lancer un «appel à partenaires » pour aider les collectivités à définir leurs priorités pour mieux gérer leurs ouvrages d’art. Objectif : proposer, d’ici deux ans, une plateforme de ressources à partir de méthodes et d’outils construits avec les collectivités, qui auront vocation à être diffusés plus largement via des formations.


Côté collectivités, la proposition des sénateurs de réaffecter l’enveloppe dédiée à la sécurité des tunnels, créée en 1999 en réponse à la catastrophe du Mont-Blanc, n’a pas été retenue. Et la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) ne sera pas le guichet unique de l’ingénierie territoriale comme le préconisait le Sénat, le décret n° 2019-1190 du 18 novembre 2019 relatif à l’ANCT écartant le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) de son périmètre. 
Seule la préconisation d’une gestion patrimoniale des ouvrages d’art semble avoir été entendue. « Mesure à double détente pour les collectivités », selon le sénateur et co-rapporteur Patrick Chaize, l’intégration de l’amortissement de ces ouvrages à la section investissement des budgets locaux permettrait, à terme, leur autofinancement. Une « simple amélioration fiscale » en somme, devant permettre aux collectivités de récupérer la TVA. Mais pour le vice-président de la commission de l’amé- nagement du territoire du Sénat, le problème reste «la mobilisation des ressources » afin d’« amorcer la pompe » dans les territoires. De ce point de vue, le compte n’y est pas : les fonds espérés dès 2020 sont annoncés pour 2023 (dans le cadre des crédits de régénération du réseau routier inscrits dans la LOM), et ne profiteront qu’aux seuls ouvrages de l’État.  
La question du financement est cruciale car les ponts rappellent parfois subitement les élus à leur responsabilité de maître d’ouvrage. À Guérard et Tigeaux (77), où se sont rendus les sénateurs, deux ponts très dégradés ont dû être fermés à la circulation en 2014. Depuis, les habitants doivent allonger leurs temps de déplacement – sans compter le report de trafic sur la route départementale voisine. Estimés à 1 ME par pont (soit un tiers du budget annuel de la commune de Guérard), les travaux n’ont pas pu démarrer faute de financement suffisant. Tigeaux n’a pu entamer les travaux en dépit d’une subvention de 125 000 E attribuée au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux 2015 à la commune pour la première partie du chantier. 
À Wizernes (62), où s’est rendu le sénateur Michel Dagbert dans le cadre de la mission d’information, le pont de la rue Mendès France est un cas d’école des difficultés rencontrées par les communes dans la gestion de leurs ouvrages d’art. Desservant une usine fermée en 2015 mais reprise en 2019, ce pont, très dégradé (classé 3U), est le seul point de passage possible pour les 40 camions nécessaires à la production quotidienne de l’usine. Après inspection, le pilier central de l’ouvrage se révèle «gravement altéré ». Le devis, 800 000 E au total, est disproportionné par rapport au budget communal.Devoir de vigilance
Depuis lors, le maire toque à toutes les portes pour obtenir un soutien financier : préfecture, conseil départemental, parlementaires, ou encore le conseil d’administration de la société ayant repris l’usine. Pour autant, pas de « pont en or » en vue, mais la poursuite du combat mené avec le soutien des salariés licenciés en 2015, dont 52 ont été réintégrés dans l’usine. Financés par la commune, des travaux de consolidation du pont ont été réalisés pour permettre aux camions de passer, en attendant la construction d’un nouvel ouvrage. 
Autre élément souligné par le cas de Wizernes : le changement climatique est – et sera de plus en plus – déterminant dans l’usure des ouvrages d’art, à l’instar des multiples crues de l’Aa et de la sécheresse ayant dégradé le pont de la commune. Christophe Ferrari, maire de Pont-de-Claix (38) et président de Grenoble-Alpes Métropole, alertait déjà, au nom de l’AMF, sur ce potentiel «effet d’accroissement des vulnérabilités », au Sénat, le 31 janvier 2019, dans le cadre des travaux de la mission d’information. 
La sécurité des ponts « n’est pas qu’une histoire de gros sous » pour Patrick Chaize, mais aussi une « question de volonté politique et d’accompagnement des collecti­vités ».    
(1) Rapport d’information du Sénat n° 609, Sécurité des ponts : éviter un drame.

Caroline SAINT-ANDRÉ

 

La problématique des ouvrages de rétablissement
Le gouvernement devrait publier, d’ici avril 2020, la liste définitive des ouvrages de rétablissement des voies (ponts, passerelles, tunnels...) recensés sur le territoire. 
Les collectivités avaient jusqu’au 31 décembre 2019 pour compléter l’inventaire établi à l’été 2019 par le ministère de la Transition écologique et solidaire, à partir duquel s’engageront les négociations sur les modalités de leur entretien (1). L’État a recensé 15 400 ouvrages. Cet inventaire provisoire a ­permis d’identifier des ouvrages non encadrés juridiquement, objet de litige entre l’État et les collectivités pour leur entretien (selon la loi du 7 juillet 2014, les ouvrages construits avant ce texte relevaient des collectivités ; ceux construits après relèvent de son gestionnaire lorsque les collectivités ont un potentiel fiscal inférieur à 10 ME). 
(1) Lire Maires de France, n° 372, octobre 2019, p. 15.
 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°374 - Décembre 2019
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