Le magazine des maires et présidents d'intercommunalité
Maires de France
01/12/2019
Écoles, éducation, alimentation

Quel impact des cités éducatives ? La parole aux élus

Les 80 cités éducatives labellisées en septembre se mettent en place, avec des moyens. La politique de la ville tient peut-être là une démarche prometteuse.

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Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, s'est déplacé au collège Romain Rolland à Clichy-sous-Bois (93), pour le lancement des cités.
Au total, 80 villes ont reçu le label de Cité éducative, début septembre (1), visant à accompagner chaque parcours éducatif individuel et promouvoir la continuité éducative dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville décrits par l’État comme de « grands ensembles d’habitat social de plus de 5 000 habitants, qui présentent des dysfonctionnements urbains et un manque de mixité scolaire ». Le but des Cités vise donc à mobiliser État, communes, associations, travailleurs sociaux, médecins, puéricultrices, espaces culturels, entreprises, élèves et leurs parents pour redonner des chances à des enfants qui en avaient peu. Et ce, depuis leur plus jeune âge jusqu’à l’insertion professionnelle.
Le ministère de la Cohésion des territoires ne cesse de répéter qu’il ne s’agit pas d’un dispositif de plus. Les élus parlent d’une «nouvelle alliance » pour décrire la mise en place de ces projets. Le pilotage de la Cité éducative, resserré et opérationnel, est assuré par le principal de collège, un directeur général adjoint de la commune et un représentant du préfet. «En nommant le principal du collège chef de file local, l’Éducation nationale a fait du chemin », assure Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin (69). 

Continuité éducative

Cela libère du temps aux principaux de collège et leur permet de s’impliquer dans l’animation. Cela se ressent concrètement dans l’avancée des projets. Vaulx-en-Velin travaille sur l’éveil musical. «Même dans une ville très populaire, ce sont les plus favorisés qui fréquentent le conservatoire. Nous allons faire entrer le conservatoire à l’école, via le chant et la pratique d’un instrument. Progressivement, tous les enfants de CE1 et CE2 seront touchés. » L’action va se poursuivre sur les temps périscolaires. À Allonnes (72), «les classes orchestres vont être multipliées », explique le maire, Gilles Leproust. Une troisième a déjà pu ouvrir à cette rentrée, «grâce à la Cité ». À la rentrée prochaine, chaque école élémentaire en sera dotée. Le projet Micro-folie (musée numérique adapté aux territoires) est aussi sur les rails.
Il s’agit aussi bien d’abonder des actions qui existent déjà, les «amplifier » quand elles donnent des résultats, que de lancer des actions nouvelles. Beaucoup misent sur la culture pour toucher tous les jeunes, sur tout leur temps. «La musique est une façon de découvrir un autre langage, de s’ouvrir à des sentiments », estime Philippe Rio, maire de Grigny (91) qui, lui aussi, mise beaucoup sur les classes orchestres.
L’idée originale des Cités éducatives est justement née dans sa ville. Un chiffre a provoqué une déflagration en 2017 : dans cette commune, où 50 % des jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, seuls 25 % des lycéens obtiennent le bac. «Cela explique beaucoup de choses, le taux de chômage, les difficultés d’inclusion républicaine, etc. », évoque le maire. Pourtant, la ville était déjà en éducation prioritaire, couverte par un contrat de ville. Il fallait « cet électrochoc » pour faire bouger les choses. Grigny a servi de « prototype » aux Cités éducatives. Le concept a été creusé avec des élus locaux lors de la préparation du rapport de Jean-Louis Borloo en 2018 (2). Un temps négligée, la mesure a refait surface quelques mois plus tard. Sous la pression d’élus et de certains acteurs au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), convaincus de tenir là un dispositif capable de faire la différence. L’ancienne secrétaire d’État à la ville, redevenue maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, en faisait partie : « Un enfant s’élève sur tous les temps, cela justifie que tous les acteurs éducatifs travaillent enfin ensemble autour d’une forme de continuité éducative. » De fait, sa ville a réussi à mobiliser près de 200 participants à la première réunion de travail sur le plan d’action, mi-octobre. À Allonnes, le proviseur du lycée est aussi partie prenante du comité de pilotage.

Vigilance sur le droit commun

La culture et le sport sont deux gros piliers, surtout dans ces villes populaires où la pratique sportive est moindre qu’ailleurs. «Il faut lever aussi bien les obstacles culturels que financiers. C’est ce que nous allons faire », prévient Gilles Leproust. Grigny a ouvert 3 classes «sport » au collège «et, en parallèle, on a inventé deux dispositifs sur le temps périscolaire, en lien avec des associations et fédérations sportives : l’académie des sports (gratuite) et un fonds d’accès aux sports, avec la CAF », explique Philippe Rio. Premier bilan, le nombre d’enfants inscrits a augmenté de 25 %. Les villes ont commencé à piocher dans une première enveloppe de 100 000 e, versés à chaque cité en septembre. Cela permet d’assurer un fonds d’amorçage pour ne pas entraver la dynamique naissante, précise le CGET qui coordonne le programme à l’échelle nationale. L’État a laissé aux acteurs de terrain jusqu’à la fin 2019 pour commencer à programmer leurs actions pour les trois années suivantes. Les communes sont assurées d’être financées sur la durée. L’État a dégagé 100 Me de 2020 à 2022 pour le programme. S’ajoute le « fonds de la cité éducative », de 30 000 e par an et par collège, financé à parité par les ministères de la Ville et de l’Éducation nationale. Le fait que le ministère de l’Éducation nationale soit co-porteur du label, et donc de cette politique à l’échelle nationale avec le ministre délégué à la Ville, rassure les acteurs locaux. Personne n’a de réelle inquiétude sur les financements promis. C’est l’un des points forts de ce dispositif. En revanche, certains redoutent que d’autres réductions budgétaires ne viennent affecter les crédits de droit commun. Gilles Leproust se souvient avoir dû «batailler », début 2019, pour «sauver trois classes ». Il ne voudrait pas avoir à recommencer l’an prochain.
L’articulation des cités éducatives avec les autres dispositifs ou programmes (de réussite édu­cative, volets éducatifs des contrats de ville) semble claire. « Le programme de réussite éducative vise les enfants en difficulté, pour lesquels on mobilise, individuellement, toutes les ressources locales. La Cité concerne, elle, tous les enfants, en fragilité ou non. C’est aussi sa force », assure Philippe Rio. Autre atout cité par les élus, la participation des parents. Ce sont dans les écoles où les classes orchestres sont déjà implantées que le taux de participation aux élections de parents d’élèves a été le plus élevé, observe le maire d’Allonnes. Cela fait partie de ces « signaux encore faibles mais positifs » comme les changements de comportement d’élèves, que le maire de Grigny assure percevoir. Tout en concluant que « la prochaine étape est de transformer l’essai. On ne passe pas de 25 à 80 % d’élèves au bac du jour au lendemain ».
Au niveau national, toutes ces expériences vont être évaluées par le Comité national d’orientation et d’évaluation des Cités éducatives installé le 26 novembre.

Emmanuelle STROESSER

(1) Vade-mecum des cités éducatives, www.cget.gouv.fr
(2) Vivre ensemble – vivre en grand la République, avril 2018.


Éducation prioritaire : vers une généralisation ?

Il faut «accompagner et tirer pleinement parti de l’expérimentation des cités éducatives », estime le rapport Azéma-Mathiot (1), remis le 5 novembre au ministre de l’Éducation nationale. C’est la 25e mesure de ce rapport commandé pour accompagner sa réflexion sur le devenir de la politique territoriale de l’éducation nationale. Le verdict est tranchant : l’approche actuelle ne résout pas les inégalités territoriales. Il préconise de retrouver une continuité éducative en misant sur un accompagnement des élèves les plus modestes «dans tous les territoires » et en prenant mieux en compte la diversité territoriale, avec, par exemple, la question des temps de transports en zones rurales. En milieu urbain, seuls les REP+ seraient maintenus jusqu’en 2022. Les écoles des petites villes et bourgs en difficulté sociale et scolaire bénéficieraient aussi de coups de pouce dans un contexte où 70 % des enfants socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. (1) Rapport Mission Territoires et réussite. www.education.gouv.fr

 


3 questions à… Marc Vuillemot, 
maire de la Seyne-sur-Mer (83), président 
de Ville et Banlieue
« La cité éducative ne doit pas compenser un désengagement éventuel de l’éducation prioritaire »
La cité éducative devrait être le modèle du continuum éducatif. Qu’est-ce qui peut le garantir ?
L’obligation faite à l’Éducation nationale de ne pas se considérer comme le nombril du monde est une garantie. Jusqu’à présent, la coopération et les échanges relevaient du bon vouloir de chacun, enseignants, principaux de collège, inspecteur d’académie. Aujourd’hui, l’Éducation nationale est co-pilote à l’échelle nationale, ce qui pousse ceux qui auraient pu être rétifs à mettre en œuvre cette politique. 
Quelle est leur clé de réussite ? 
Je fais le pari que les acteurs locaux vont mordrent à l’hameçon, ce qui va entraîner des rencontres, des connaissances et reconnaissances mutuelles entre acteurs éducatifs. En progressant sur ce «faire ensemble », nous allons mieux nous comprendre et effacer les craintes encore existantes. 
Seules 80 cités éducatives ont été labellisées. Pensez-vous que le label doit être élargi ? 
Le rapport Mathiot-Azéma (lire ci-dessous) envisage de recentrer la politique nationale de l’éducation prioritaire sur les quartiers où la réalité sociale, économique et culturelle le justifie, dans les REP+. Parallèlement, il envisage de décentraliser ce qui relève des REP actuels. Cela mérite réflexion. Car il ne faudrait pas, s’il y a un moindre investissement vers l’égalité des chances, que le dispositif Cité éducative vienne compenser ce désengagement éventuel de l’éducation prioritaire. Il convient donc de prendre le temps avant de se prononcer sur l’opportunité ou non d’élargir le nombre de cités éducatives.        
Propos recueillis par E. S.

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°374 - Décembre 2019
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