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Maires de France
Interco et territoires
04/04/2023
Energie Environnement Industrie

Exploitation de métaux stratégiques. Quel impact ?

Les maires de communes concernées par ces gisements s'interrogent sur les conséquences économiques et écologiques de telles exploitations.

Par Sarah Finger
Illustration
© PHOTOPQR/LA MONTAGNE/MAXPPP
Un projet d'exploitation de lithium est envisagé à Échassières (03) d'ici à 2028. Si le maire n'y est pas défavorable, il veillera aux conséquences environnementales.
Nickel, cobalt, lithium, cuivre… Désormais, ces ressources ou « terres rares » valent de l’or. Les filières liées à la mobilité électrique et aux énergies renouvelables s’avèrent en effet très gourmandes en métaux et minerais dits « critiques » ou « stratégiques ». Les nouvelles technologies exploitent leurs propriétés optiques, magnétiques et chimiques, leur résistance au temps, leur capacité de miniaturisation et de stockage de l’énergie… Un smartphone contient en moyenne trois grammes de terres rares, une éolienne jusqu’à une tonne. 

Or, en France comme dans toute l’Europe, l’industrie demeure très dépendante des filières d’approvisionnement étrangères, notamment chinoises. Comment changer la donne ? L’appel à projets « Métaux critiques » à destination des filières industrielles a été lancé en janvier 2022 lors de la remise du rapport Varin (lire ci-contre). Objectif : soutenir les projets les plus prometteurs dans le cadre du plan d’investissement France 2030, doté d’1 milliard d'euros.

Pour l’heure, parmi les projets d’extraction qui ont pris forme sur le territoire, figure celui du groupe Imerys mené dans la commune d’Échassières (03). Cette société spécialisée dans la production et la transformation de minéraux industriels projette d’exploiter du lithium à partir de 2028 sur le site de Beauvoir, jusqu’ici dédié au kaolin.

« Nous savions depuis longtemps que ce site contenait du lithium mais, à l’époque, celui-ci ne valait pas grand-chose », raconte Frédéric Dalaigre, maire d’Échassières (390 hab.). « En 2020, quand Imerys a réalisé ses premiers carottages (prélèvements), nous avons pris conscience que les choses allaient bouger ».

En effet : fin octobre 2022, le groupe annonce officiellement son projet d’exploitation de lithium. Le maire d’Échassières, informé quelques jours plus tôt, n’en prend pas ombrage : « Le groupe nous a assurés de sa volonté de transparence. Mais ­Imerys étant coté en bourse, toute communication est délicate… Nous saurons, courant 2024, si leur projet va se concrétiser. »
 

Emplois annoncés... et réserves des habitants

Pour Frédéric Dalaigre, cette perspective offre d’évidents atouts pour la commune, notamment l’installation de nouvelles familles qui dynamiseront Échassières et l’ensemble du bassin de vie. «Ce projet ayant été annoncé très en amont, nous n’avons pas encore de détails sur le nombre ni les types d’emplois qui pourraient être créés, tempère le maire. Imerys a évoqué le chiffre d’un millier d’emplois directs et indirects sur les différents sites : l’extraction, le concassage et le tri chez nous à Échassières, mais aussi le transport des matières, via une gare, vers un site de conversion qui devrait se situer dans l’Allier. » 

Reste à savoir quel sera l’accueil de la population si cette exploitation devait se confirmer. Selon le maire, les habitants d’Échassières, forts d’un long passé minier, formulent assez peu de réserves. « Mais certains se posent des questions, notamment environnementales, car on sait qu’une telle industrie est gourmande en eau, reconnaît Frédéric Dalaigre. Des études hydrologiques sont en cours. Nous serons vigilants. »

Une réunion publique avec Imerys a été organisée, fin 2022, à la demande de la commune. Réunion que le maire qualifie « d’animée » : « mais plus les gens sont informés, analyse-t-il, plus ils sont rassurés. »  

Cette réflexion trouve un écho particulier dans la baie d’Audierne (29), où la présence potentielle d’un vaste gisement de lithium, révélée par la presse locale en janvier 2022, a provoqué l’émoi des habitants et des élus. Emmanuelle Rasseneur, maire de Gourlizon (923 hab.) et vice-présidente de la communauté de communes du Haut-Pays bigouden, raconte : «Nous avons appris en décembre 2021 que notre projet de réserve naturelle régionale sur le site de la baie d’Audierne avait été retenu. Le mois suivant, un article faisait état d’un gisement de lithium se situant au centre de cette réserve. »

De plus, ce site est classé Natura 2000 et le label international Ramsar, qui valorise des zones humides, lui a été décerné en septembre 2021. «En février 2022, en visite dans la région, Bérangère Abba, à l’époque secrétaire d’État à la Biodiversité, s’est exprimée sur ce gisement en disant qu’il ne fallait “rien s’interdire”. Cette réponse a mis le feu aux poudres », poursuit Emmanuelle Rasseneur.  

Une manifestation d’environ 600 personnes, dont plusieurs élus, est alors organisée devant la mairie de Tréguennec (322 hab.), commune directement concernée par ce gisement. « Cette mobilisation a stoppé le projet », affirme Emmanuelle Rasseneur, qui s’en réjouit : « Une telle exploitation est inenvisageable. Il n’y a pas de discussion possible au regard de la fragilité du site, séparé de l’océan par une simple dune. Même les cerfs-volants y sont interdits, et on autoriserait des tractopelles ? » 
 

Bénéficier des retombées

Dans le Limousin, un permis de recherches a été accordé en octobre 2022, pour trois ans, à la Compagnie des mines arédiennes. Il concerne plusieurs métaux : tungstène, cobalt, lithium, terres rares… Il s’agit ici, selon le site Minéral Info, d’« approfondir la connaissance géologique sur des structures minéralisées exploitées par le passé ».

Daniel Boisserie, maire de Saint-Yrieix-la-Perche (7 200 hab., 87) et président de la communauté de communes du Pays de Saint-Yrieix, approuve ce projet qui concerne trois sites de son territoire : «La France a plus que jamais besoin de métaux rares. Il faut le dire clairement. »

Mais une question lui paraît cruciale : « La transformation doit se faire sur place pour bénéficier davantage de retombées. Il en va du respect de notre ruralité, de notre territoire et de ses habitants. C’est une plus-value financière et humaine, une compensation indispensable : on creuse, on trouve, on exploite et on transforme sur place. »

Sur l’aspect environnemental de ce dossier, le maire se dit «assez tranquille » : « nous sommes aujourd’hui dotés de règles strictes sur la protection de la nature et des populations. Les trois communes concernées par ce projet appartiennent au même EPCI et nous attendons de voir ce que vont donner les recherches… » 
 

Témoignage
Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin, coauteur avec le Sénat d’un rapport sur «Les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques »*
« état-collectivités : la concertation
en jeu »
« Contrairement à ce que l’on observe dans les pays scandinaves et notamment en Finlande, les Français ne sont pas assez sensibilisés à ce sujet par les autorités. Pourtant, les métaux critiques et les terres rares présentent un intérêt stratégique et revêtent un enjeu de souveraineté. La Chine en effet domine très largement ce secteur, ce qui nous place dans une situation de très grande dépendance.

Certes, les choses évoluent mais pour qu’un vrai travail puisse permettre de développer des projets en France, une concertation doit s’établir entre l’État et les collectivités afin de sensibiliser davantage les élus sur ces enjeux.

Désormais, les nouvelles technologies limitent très fortement les impacts environnementaux de telles exploitations. Les projets sont donc plus acceptables par la population. On ne peut pour autant pas mettre les habitants d’un territoire devant un fait accompli : il demeure essentiel d’expliquer, d’impliquer les populations concernées par des projets d’exploitation. »

* www.senat.fr (rubrique Travaux ­parlementaires/Rapports/Rapports d’information).
© Assemblée nationale

 

Les stratégies du rapport Varin 
Le 10 janvier 2022, Philippe Varin, ancien président de France Industrie, remettait au gouvernement un rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales. Celui-ci a retenu les axes suivants :
- la création d’un fonds d’investissement et d’un observatoire des métaux critiques ;
- la nomination d’un délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (Benjamin Gallezot, ingénieur général de l’armement, a été, depuis, nommé à ce poste) ;
- l’élaboration d’une feuille de route technologique partagée entre les industriels et la recherche publique ; la mise en œuvre du concept de «mine responsable ».
La crise en Ukraine, qui a débuté après la remise de ce rapport, a rappelé que la souveraineté de la France se posait aussi dans le domaine des métaux stratégiques.


 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°411 - AVRIL 2023
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