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08/04/2022 - AVRIL 2022 n°400
AMF Sécurité - sécurité civile

Gestion des incivilités. Les élus médiateurs

Au quotidien, les maires sont souvent appelés à jouer les juges de paix. Une mission que beaucoup apprennent sur le tas.

Emmanuelle Stroesser
Pour Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François (Marne), la meilleure réponse aux incivilités est toujours celle de la médiation avec les administrés.
© Mairie de Vitry-le-François
Pour Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François (Marne), la meilleure réponse aux incivilités est toujours celle de la médiation avec les administrés.
Les incivilités agacent tout le monde. Mais il y en a un qui doit trouver la solution : le maire ! Dominique Le Roux, maire de Plomelin (4 354 habitants, Finistère), l’a découvert depuis le début de son mandat, en mai 2020. Il se dit chanceux car «  il y a bien des comportements souvent au-delà du permis, mais rien de bien grave ». Les déchets sauvages en font partie. Certains fautifs imprudents oublient dans leur sac poubelle une enveloppe avec nom et adresse. «  Ça arrive », s’en amuse presque le maire. Dans ce cas, il n’hésite pas et convoque en mairie. C’est ainsi qu’il a compris que pour l’un d’eux, un monsieur âgé, il n’y avait rien d’intentionnel. «  Ses enfants nous ont expliqué qu’il souffrait d’Alzheimer. » Dans deux autres cas, le maire a pu confondre les contrevenants, bons pour un remontage de bretelles en mairie. «  Je les ai prévenus que si prochaine fois il y avait, ce serait un carton rouge. Cela a suffi jusque-là pour qu’ils ne récidivent pas, apprécie-t-il. Chacun est reparti avec son sac d’ordures avec, pour consigne, de les déposer cette fois au bon endroit. »

«  Les incivilités agacent tout le monde, car c’est visible le plus souvent, mais ce n’est jamais très grave. Cela peut créer une mauvaise image ou une sale ambiance. Tout dépend de l’incivilité, car c’est une catégorie fourre-tout, et la perception qu’on en a sera forcément différente suivant les régions, la taille de la commune, etc. », explique Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François (11 376 habitants, Marne).

Investi sur les questions de sécurité, l’élu en a vu des incivilités en plus de 25 ans de carrière. Sans que cela ne le décourage. Il le répète, l’explique et argumente. La meilleure réponse est toujours pour lui celle de la prévention et de la médiation.

C’est d’ailleurs bien le maire médiateur que les administrés viennent chercher. Dominique Le Roux est ébahi par «  le nombre de situations que les gens vivent mal mais pour lesquelles ils sont incapables d’aller taper à la porte du voisin pour poser le problème et tenter de le régler ». «J e croyais que les personnes se parlaient, en fait non », observe l’élu. «  C’est effectivement triste de constater qu’elles ne vont plus voir leur voisin pour se plaindre du bruit par exemple, mais viennent nous trouver le lendemain », acquiesce Emmanuel Franco.
 

TÉMOIGNAGE
Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François (51), co-présidenT du comité législatif de l’AMF
" les maires ne sont pas des juges " 
" Les maires ne sont pas des juges même s’ils ont des pouvoirs de police. Je leur conseille de se former à la connaissance des règles de droit afin qu’ils sachent ce qu’ils peuvent faire ou non. Qu’ils se forment aussi pour connaître les limites de ces droits en matière de police. Car nous ne sommes pas des shérifs. La formation sert enfin à découvrir comment faire.

L’AMF, dans chacun des départements, organise des cycles de formation. Il faut aussi se former à la communication de crise, être clair, court, précis et concis, ne pas tortiller, mais avoir un axe et s’y tenir. Vous dites ce que vous allez faire et vous vous y tenez. Il faut aller au-devant des gens, ne pas avoir peur. Ne pas non plus faire de provocation en désignant une catégorie de personnes. En France, le pouvoir judiciaire c’est la justice, nous sommes républicains et nous lui faisons confiance. Il faut sans cesse ramener les choses à leur proportion. »


Rappel à l’ordre

Le maire d’Étival-lès-le-Mans (1 956 habitants, Sarthe) en est lui à son troisième mandat, et constate que ce type de sollicitations augmente. Accentuées encore par la crise liée au Covid et les périodes de confinement. «  La première chose que je leur demande, c’est d’aller voir leur voisin. Je veux bien me déplacer, mais s’ils ont fait cette première démarche et qu’elle n’a pas permis de faire évoluer la situation dans le bon sens », explique-t-il.

Les procédures de rappel à l’ordre ou de transaction, Dominique Le Roux ne les connaît pas. «  C’est pour cela que je n’ai jamais pensé ni eu l’intention de les utiliser », confie-t-il. Il préfère avoir «  la faiblesse de croire » qu’il peut aboutir à une solution en misant sur la médiation, «  car les personnes en général n’ont pas mauvais fond ». Cela ne l’a pas empêché de convoquer à quelques reprises des parents pour des faits reprochés à leurs adolescents.

Quitte à prévenir aussi la gendarmerie pour verbaliser des conduites inadaptées de jeunes à scooter dans l’espace public. Il se souvient également d’un feu de poubelle provoqué par des jeunes «  qui, je crois, se sont fait dépasser par leur bêtise ». Bilan : un mètre carré de bitume à rechaper et une poubelle fondue à remplacer. La facture a été envoyée aux parents.

Emmanuel Franco compte aussi sur son tempérament qui le pousse à la conciliation. «  Franchement, quand j’ai réussi à faire que deux personnes se parlent, je suis content du job ! », sourit-il. Mais il estime que les maires ont besoin aussi de «  s’outiller ». C’est pourquoi, en tant que président de l’Association des maires et adjoints de la Sarthe, il s’est rapproché de la procureure de la République pour mettre en œuvre le rappel à l’ordre dans les communes.

Une convention a été signée en janvier 2022. L’encre est encore fraîche. Les communes doivent maintenant choisir d’y adhérer en prenant une délibération en conseil municipal. Manifestement, «  cela commence à bouger », observe l’élu. Le rappel à l’ordre est une procédure qui permet au maire de convoquer les auteurs de petits délits pour leur rappeler les règles de droit, en concertation avec le procureur. «  Cela donne un cadre juridique à nos interventions et nous conforte dans notre rôle d’élus, assure Emmanuel Franco. Car si le maire a des pouvoirs de police, cela reste abstrait surtout quand on débute le mandat. Et les élus étaient demandeurs d’outils pour asseoir leur autorité ».

Lui-même faisait des rappels à la loi, «  mais sans cadre. J’invitais les parents, par exemple, à venir me voir en mairie. Je reprenais les faits que je leur exposais, je jouais le rôle du père fouettard en déroulant le discours classique, “ ce n’est pas bien, c’est de l’argent public ”, etc. » Aujourd’hui, avec le rappel à l’ordre, il estime gagner sur trois plans. «  Cela va déjà nous permettre d’avoir une comptabilité des incivilités. De ne plus être sur le seul ressenti. De laisser une trace, ce qui peut compter en cas de récidive. »

Enfin, l’élu estime qu’il va ainsi pouvoir désormais faire de la pédagogie via la réparation. «  Je peux faire une procédure de transaction municipale par exemple pour faire en sorte qu’un jeune majeur nettoie le tag qu’il a réalisé sur le skatepark. » Ce qu’il ne demandait pas jusqu’alors.
 

Gérer l’agressivité

Ce qui inquiète davantage Emmanuel Franco, c’est l’effet du Covid sur l’état psychologique de certains habitants, et sa répercussion. L’élu l’a déjà ressenti dans l’augmentation des incivilités verbales à l’égard des élus. Lui-même se souvient d’avoir reçu des «soufflantes » de la part d’administrés parce que des agents n’avaient pas l’air de travailler assez vite ou parce qu’il fallait trouver un médecin. «Je pense qu’il faut vraiment que les personnes se rencontrent davantage, qu’elles reprennent le cours normal de leur vie. »

Ce que les maires recherchent, ce sont également des méthodes pour mieux appréhender ces situations. Dominique Le Roux a ainsi apprécié une rencontre proposée par les gendarmes, qui lui a donné «des clés pour éviter qu’une situation s’envenime ». «Car l’élu, c’est celui qui est à portée de baffes », résume Emmanuel Franco, reprenant une formule désormais célèbre.
 

Conseil des droits et devoirs. Kesako ?
Certains outils sont peu connus. C’est le cas du Conseil pour les droits et devoirs (CDDF) des familles. Ce n’est pas surprenant car il n’est obligatoire que dans les communes de plus de 50 000 hab., depuis 2011 (1).

Le nom fait sourciller Emmanuel Franco, maire d’Étival-lès-le-Mans (72) : «  Cela m’intéresse, je vais me renseigner », glisse-t-il. Jean-Pierre Bouquet, référent AMF pour le Beauvau de la sécurité, avait lui presque oublié cette instance. «  Cela mérite d’être utilisé avec bienveillance », lâche-t-il. Cela ne veut pas dire qu’il s’empêche de recevoir un jeune avec ses parents, qui aurait eu un comportement violent à la piscine par exemple. «  Mais les équipes de prévention ont préparé en amont cette rencontre. Notre rôle est de veiller à ce que notre intervention ait une vertu éducative et pédagogique. Sinon, ce sont des coups d’épée dans l’eau. »

(1) Le CDDF a été créé par la loi sur la prévention de la délinquance du 5 mars 2007.

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

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