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Maires de France


Solutions locales
27/09/2024 - SEPTEMBRE 2024 n°426
Écoles, éducation, alimentation Emploi Fonction publique Social

Lutter contre l'illettrisme

Si la part des personnes en grande difficulté avec l'écriture et la lecture a baissé, les communes s'investissent pour soutenir ce public empêché et isolé.

Par Sophie Le Gall
À Bully-les-Mines (62), l'association Mots & Merveilles anime, au sein de la médiathèque, des ateliers collectifs.
© Association Mots & Merveilles
À Bully-les-Mines (62), l'association Mots & Merveilles anime, au sein de la médiathèque, des ateliers collectifs.
En France, 1,4 million de personnes sont concernées par l’illettrisme (des données qui ne comprennent ni les plus de 64 ans ni les immigrés n’ayant pas été scolarisés en France). Ces personnes ont de fortes difficultés en lecture ou en écriture.

Dans deux tiers des cas, «les difficultés à l’écrit se cumulent avec celles en calcul », souligne l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI). Le rôle des collectivités est déterminant pour lutter contre ce handicap.
 

. Bully-les-Mines (12 200 habitants, Pas-de-Calais)
Une dynamique intercommunale

Dans une région plus fortement marquée par l’illettrisme que la moyenne nationale, la commune a pris la tête d’une mobilisation à l’échelle intercommunale. «À Bully comme dans les communes voisines, les personnes concernées n’avaient accès à aucune offre de soutien pour sortir de leur illettrisme. Je connais des familles qui se replient sur elles-mêmes, en particulier des mamans très gênées de ne pas pouvoir suivre la scolarité de leurs enfants », explique Maryse Baccioni, conseillère municipale déléguée à l’innovation sociale et citoyenne.

La commune a signé, en 2024, une convention de partenariat avec l’association Mots & Merveilles (asso-motsetmerveilles.fr), implantée depuis une quinzaine d’années dans les Hauts-de-France et aujourd’hui présente sur douze sites. La charge pour Bully se réduit à l’accueil des apprenants au sein de sa médiathèque, Mots & Merveilles étant «co-financée par l’État, la communauté d’agglomération de Lens Liévin, le département, la caisse d’allocations familiales, la région et des mécènes », indique sa directrice, Caroll Weidich.

« Par souci d’équité territoriale et de solidarité avec les communes voisines qui ne disposent pas toutes d’un lieu adapté, notre médiathèque accueillera les personnes en difficulté provenant de toute l’intercommunalité », précise Maryse Baccioni. Les séances sont programmées sur les horaires creux de l’établissement, «en espérant que ce public se familiarisera avec le lieu et sera tenté de participer aux différentes activités qu’il propose, au-delà de la lecture », ajoute l’élue.

À Bully comme ailleurs, Mots & Merveilles applique une méthode qui a fait ses preuves : des ateliers individuels et des ateliers collectifs (théâtre, découverte du territoire pour soutenir la mobilité, sensibilisation au Code de la route, sorties au musée…) afin de créer du lien. «Notre pédagogie est basée sur des mises en situation et la résolution de questions d’ordre pratique, le plus difficile étant de toucher le public jeune », explique la directrice de la médiathèque.

En pleine phase d’essaimage, l’association, qui «entend répondre à la forte volonté des territoires éloignés des grandes villes », parvient pour l’heure à trouver des bénévoles et «s’engage à leur donner une formation conséquente ».

www.bullymines.fr
 

. Mitry-Mory (19 900 habitants, Seine-et-Marne)
Ouvrir la médiathèque au plus grand nombre

« Notre objectif est d’offrir à chacun les bases d’une vie épanouissante, qu’il s’agisse d’éducation, de loisirs ou encore de vacances, et ce, dès le plus jeune âge. Le soutien à l’apprentissage et à la maîtrise de la langue en fait partie », explique Mélanie Zède, adjointe au maire chargée de la culture et du patrimoine. Mitry-Mory a récemment renforcé la lutte contre l’illettrisme avec sa médiathèque.

« Quand, en 2022, je suis arrivée au poste de responsable du secteur adultes, j’ai souhaité professionnaliser mon approche de l’illettrisme en suivant une formation à la médiathèque départementale puis en me rapprochant de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) », retrace Blandine ­Quinot, bibliothécaire.

La démarche a permis à la médiathèque de proposer, au fil du temps, diverses animations : participation aux Journées nationales d’action contre l’illettrisme de l’ANLCI (8-15 septembre 2024), ateliers d’écriture, constitution d’un fonds d’ouvrages adaptés sans oublier une programmation sur-mesure avec le cinéma municipal «Le Concorde » visant à ouvrir le débat.

Aujourd’hui, la médiathèque touche une multitude de publics potentiellement concernés par la maîtrise du français, de l’Ehpad à l’Institut médico-éducatif. La médiathèque «fonctionne en réseau à l’échelle de l’agglomération Roissy Pays de France et permet à nos habitants de puiser dans les catalogues de plusieurs communes ».

Pour les publics empêchés, la médiathèque propose un service hebdomadaire de «Médiabus » parcourant tout le territoire de Mitry-Mory et assurant un service de portage de livres à domicile appelé «Domilivres ». Tout en étant ravie d’avoir pu concrétiser son projet, Blandine Quinot regrette qu’il «soit si difficile de toucher les personnes qui n’arrivent pas à parler de leur situation d’illettrisme et qui restent donc invisibles ».

www.mitry-mory.fr
 

. Frontignan la peyrade (23 800 habitants, Hérault)
Les services culture et éducation mobilisés

« Pour prévenir l’illettrisme, nous avons la volonté d’offrir un parcours et un bagage culturels à chaque enfant et ce, dès la crèche, en poursuivant au collège et au lycée grâce aux bonnes relations que nous avons avec les directions des établissements », explique Claudie Minguez, première adjointe déléguée à la ville éducatrice de Frontignan la Peyrade.

Afin de «s’adresser à tous les enfants », l’élue veille à ce que les services culture et éducation «agissent de façon unie et complémentaire ».

L’ensemble de leurs initiatives visent à jouer avec les mots, qu’il s’agisse de lecture à voix haute ou de l’écriture d’un court métrage afin de s’approprier la langue française. En s’appuyant sur les dispositifs du contrat local d’accompagnement à la scolarité (CLAS) et du programme de réussite éducative (PRE), la commune et ses partenaires peuvent aussi offrir un accompagnement renforcé aux enfants les plus en difficulté.

« De son côté, la direction culturelle bâtit un programme en lien avec notre festival du roman noir (FIRN, chaque mois de mai). Cette année, une “brigade” de jeunes lecteurs à haute voix se sont produits devant des enfants et dans les Ehpad », précise l’élue.

Pour les adultes, la ville a intégré le dispositif «Innov’emploi Expérimentation », financé par la région Occitanie, qui permet une orientation professionnelle après une remise à niveau en français basée sur les avancées en neuro­sciences. Un programme imaginé à la sortie du Covid, une crise qui a mis au jour l’inégalité d’accès à l’écrit et à la langue française.

www.frontignan.fr

 

Le rôle des bibliothèques départementales de prêt
En plus de proposer aux bibliothèques et médiathèques communales de puiser dans leur catalogue afin de faire circuler des ouvrages adaptés – dont les collections «Facile à lire » –, les bibliothèques départementales de prêt organisent des formations sur l’illettrisme, financées par le conseil départemental, dédiées aux professionnels et aux bénévoles, et, en fonction des places disponibles, aux intervenants du secteur de la petite enfance, du social, de l’accueil de loisirs. Ces professionnels peuvent aussi consulter les supports pédagogiques des centres ­ressources illettrisme et analphabétisme (CRIA).

 

Avis d'expert
Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI)   
« Il y a urgence à agir »
« Même si les derniers chiffres concernant le taux d’illettrisme en France indiquent une baisse de 7 % à 4 % de 2011 à 2022, il y a urgence à agir. En effet, ces dernières années, les difficultés liées à l’illectronisme sont venues s’ajouter à celles inhérentes à l’illettrisme.
Le monde change vite, de nombreuses personnes sont laissées sur le côté. Par exemple, ne pas pouvoir inscrire ses enfants au centre de loisirs car l’inscription se fait en ligne ou ne pas pouvoir remplir un dossier de demande d’aide parce que l’on ne dispose pas de l’outil numérique et qu’en plus, on ne maîtrise pas le langage administratif.
Pour repérer ces personnes, nous avons besoin des communes et de leurs services, et notamment des bibliothèques très engagées sur cette problématique. Nous nous mobilisons pour outiller des travailleurs sociaux ou des agents des espaces France services à travers nos formations.
Par ailleurs, les élus et les services RH des communes peuvent rappeler à leurs agents qu’ils ont accès à des formations via le Centre national de la fonction publique territoriale, qui se veulent non stigmatisantes, afin de progresser dans la maîtrise des bases du français. »
© ANLCI

 

En savoir +
• L’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) a pour mission de réunir, d’animer et de soutenir les décideurs et acteurs impliqués dans la prévention et la lutte contre l’illettrisme, parmi lesquels les collectivités. Elle a notamment créé une «Coopérative des solutions » pour aider les acteurs de terrain à coconstruire leurs projets. www.anlci.gouv.fr
• Le réseau national des professionnels et des centres ressources illettrisme et analphabétisme (CRIA). Ils apportent un appui pédagogique et technique à tout acteur de la prévention et de la lutte contre l’illettrisme. www.reseau-cria.fr 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°426 - SEPTEMBRE 2024
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