Le magazine des maires et présidents d'intercommunalité
Maires de France
01/10/2020

Les élus confrontés à la difficile reconversion des friches

Héritage encombrant, les friches doivent être dépolluées avant d'être reconverties. Les élus souhaitent des outils et des financements adaptés pour mener ainsi des politiques d'aménagement durable.

Caroline SAINT-ANDRÉ
Illustration
À Pontonx-sur-l'Adour (40), sur l'ancien site de Sony, plusieurs activités se sont installées sur le site dépollué.
Diminuer par deux le rythme de bétonisation dans la prochaine décennie » : l’objectif est lâché, le 27 juillet dernier, lors du 5e Conseil de défense écologique. Tout juste nommée ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili reprend ainsi l’une des 149 propositions de la convention citoyenne pour le climat. Devenu un « enjeu majeur », la lutte contre l’artificialisation des sols (1) – et son corollaire, la requalification des friches – doit désormais servir de boussole aux politiques d’aménagement.  
Vingt ans après la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, la prise de conscience du réchauffement climatique a donc remis sur la table la nécessité de reconstruire la ville sur la ville. En 2018, le plan biodiversité fixe à la France un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols d’ici 2050. 

Des élus locaux pris en étau

La reconversion des friches devient une priorité. En juin 2019, un groupe de travail est lancé afin d’établir un premier inventaire de ces espaces, divers par leur nature (industrielle, commerciale, administrative, ferroviaire, etc.). En février 2020, le Sénat acte la création d’une commission d’enquête sur la pollution des sols, présidée par Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne. Fin mai 2020, l’Assemblée nationale se saisit à son tour du sujet, et lance une mission d’information sur la revalorisation des friches, présidée par la députée de l’Isère, Marie-Noëlle Battistel. 
Le sujet passionne et divise. Les élus sont soumis à des injonctions paradoxales, pris en étau entre la réglementation visant à limiter la consommation d’espaces naturels et agricoles dans les documents d’urbanisme, et les modèles économiques dont « les logiques continuent à favoriser l’urbanisation en extension », estime la Fnau qui, avant l’été, livrait 20 propositions sur le sujet (2). L’équation est complexe et semble être une « spécificité française », selon Barbara Pompili. « L’étalement urbain va 50 % plus vite qu’en Espagne sur les dix dernières années, sur tous les territoires, y compris ceux qui perdent de la population. En moyenne, un département de la taille de la Drôme disparaît sous le béton tous les dix ans », a-t-elle rappelé le 27 juillet. 
Concours pour définir la «ville de demain » via des projets pilotes, « recyclage urbain massif », fonds dédié à la reconversion de friches, la feuille de route gouvernementale se veut ambitieuse pour inciter les acteurs – et au premier chef, les élus locaux – à s’emparer du sujet. Les annonces du plan de relance, présenté le 3 septembre, semblent être à la hauteur de cette ambition : le fonds dédié aux friches sera doté de 300 ME. Le Sénat, de son côté, propose la création d’un fonds pérenne de 75 ME reconduit sur quinze à vingt ans pour requalifier les friches (lire ci-contre).
En attendant, deux outils ont été notamment lancés afin d’affiner la connaissance des sites : 
le premier, « Cartofriches », est une plateforme numérique devant inventorier les espaces en friche à partir des données nationales – notamment celles de Basiol et Basias (3), et des observatoires locaux. Conçue par le Cerema, cette base cartographique se veut participative : la version test mise en ligne doit être enrichie par les collectivités, 2 400 friches seulement étant pour l’heure répertoriées. Le deuxième outil, baptisé Bénéfriches, émane de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et quantifie les bénéfices de la reconversion des friches polluées (lire p. 53). Autant d’opportunités pour les aménageurs, les collectivités, et les associations liées aux tiers-lieux et à l’urbanisme provisoire – tels les collectifs Yes We Camp et Bellastock, lauréats du Grand prix 2020 des jeunes urbanistes. 
La question de la dépollution reste le frein principal à la reconversion. Le principe «pollueur-payeur» impose aux exploitants d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) de remettre en état le site pour un usage équivalent après leur départ. Si d’autres usages sont envisagés (logement, école, maison de retraite, etc.), la charge des travaux de requalification revient alors au porteur de projet. Mais il arrive aussi que le dernier exploitant soit défaillant financièrement, sans qu’il puisse lui être opposé le principe « pollueur-payeur ». Rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur la pollution des sols, la sénatrice de l’Aude, Gisèle Jourda, en sait quelque chose. 

Priorité à la dépollution

Fermées en 2004, les mines d’or et d’arsenic de Salsigne, près de Carcassonne, ont laissé un passif sanitaire et environnemental très lourd pour la région, sans que les autorités soient intervenues. La dilution des responsabilités est le point noir en matière de dépollution, surtout lorsque les exploitants sont des firmes multinationales, qui peuvent organiser en toute impunité la mise en liquidation de leurs filiales pour se soustraire à la réglementation. 
Située en zone de revitalisation rurale, près de Dax, Pontonx-sur-l’Adour (40) démontre cependant que la reconversion de friches peut se faire sans douleur, y compris en zone peu dense. Dominique Urolatégui, le maire, reconnaît ici sa «chance » : outre le portage de la communauté de communes, l’initiative privée est pour beaucoup dans la réhabilitation partielle du Domaine du Pignada, autrefois occupé par Sony, parti en 2009 après avoir employé jusqu’à 320 salariés pour la production de bandes magnétiques. Après la remise en état du site par Sony, le repreneur – Solarezo, fabricant de panneaux photovoltaïques – met la clef sous la porte en 2013. Abandonnés puis squattés, les locaux restent en l’état pendant trois ans. Puis la société Lesbats se positionne pour reprendre une partie du site, afin d’y implanter une unité de rabotage de bois. Une bataille s’engage pour que le site soit divisé en lots pour sa vente aux enchères. Le principe est finalement accepté : Lesbats reprend un lot sur les trois, puis monte une SCP pour louer les bureaux attenants, après avoir nettoyé puis sécurisé le site avec l’aide de la gendarmerie. Parmi les locataires, La CoWo, tiers-lieu associatif se développe grâce au dynamisme de ses membres. Autre locataire : le géant de l’agroalimentaire Maïsadour et sa filiale Agralia, qui relocalise ainsi ses bureaux à Pontonx. « Le site a ainsi repris vie avec une centaine d’emplois », se réjouit Dominique Urolatégui. Un exploit en zone rurale… Reste qu’un lot n’a pas trouvé d’acquéreur : «Nous ne sommes pas assis sur un trésor de guerre », concède l’élu.

Des outils, pas d’armes

Si elle reste disparate, la boîte à outils devant favoriser la reconversion des friches s’est étoffée dans la dernière décennie. Depuis 2012, des garanties financières sont exigées des futurs exploitants. La loi Alur de 2014 a aussi mis en place les «secteurs d’information sur les sols » (SIS). Depuis lors, si le terrain convoité est dans un SIS, les porteurs de projet doivent fournir une attestation d’un bureau d’études certifié, garantissant que des études de sol seront réalisées, et que le projet final en tiendra compte. Autre apport de la loi, le dispositif de «tiers demandeur ». L’idée : le préfet transfère à un tiers qui en fait la demande – un aménageur, souvent– les obligations de réhabilitation du dernier exploitant, en y intégrant celles liées au changement d’usage, pour gagner en temps et cohérence pour le projet final. Or, la procédure est souvent complexe et coûteuse pour le « tiers demandeur », les aménageurs ayant des difficultés à évaluer le coût potentiel de dépollution du site dans le montage financier de leur projet. Résultat : seuls les terrains en zone tendue trouvent preneurs. 
De son côté, la loi Élan de 2018 s’est attaquée au volet commercial. Les porteurs de projets et les services instructeurs sont désormais tenus de vérifier qu’aucune friche existante ne permettrait la mise en œuvre du projet commercial. De même, l’obligation de démantèlement et de remise en état du site après cessation de l’exploitation commerciale a été renforcée. Au final, si la boîte à outils autour des friches s’est étoffée au fil des ans, les élus locaux ne semblent pas (beaucoup) plus armés qu’avant. Des pistes ont donc été suggérées, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, pour améliorer les process et inciter les décideurs à réhabiliter. La première, reprise par le gouvernement, est celle d’un fonds dédié à la dépollution des friches, abondé par un système de «bonus-malus » sur l’artificialisation des sols – à partir de la taxation des plus-values sur la vente de terrains nus devenus constructibles, par exemple. Annoncée le 3 septembre, la création d’un tel fonds (300 Me) est entérinée dans le cadre du plan de relance. Reste à savoir comment les collectivités pourront mobiliser ces fonds. 
Au-delà des outils et du financement, l’ingénierie reste centrale pour réussir la reconversion d’un site. Tous les territoires ne sont pas égaux en la matière, les moins denses étant parfois dépourvus d’établissement public foncier susceptible de porter ce type de projets complexes. 
Certaines régions ont donc réagi. En Nouvelle-Aquitaine, des contrats territoriaux sont proposés aux collectivités pour les aider à se doter d’une stratégie foncière. Une démarche impliquant une vision de long terme, dépassant le cycle électoral. L’agglomération de La Rochelle a ainsi lancé un projet pilote retenu par l’Ademe, le futur écoquartier « Bongraine », à Aytré. Ancienne friche ferroviaire, le site accueillait des activités polluantes. Le secteur est à fort potentiel, tout près de la gare SNCF, du quartier universitaire et de pôles d’emplois importants. Mais un papillon protégé, l’Azuré du Serpolet, a choisi de faire son nid au milieu des voies abandonnées, rallongeant de fait les délais d’instruction du projet. Quand la nature reprend ses droits, il est parfois sage de la respecter.  


(1) Selon la définition retenue par France Stratégie dans son rapport de 2019, sont artificialisés «les sols qui ne sont pas des espaces naturels, agricoles ou forestiers ». (2) https://bit.ly/2RnZSvd (3) La base de données Basol recense 7 000 sites et sols (potentiellement) pollués en France. 322 400 anciens sites industriels et activités de service figurent dans Basias.

Plan de relance : 300 millions pour les friches

Présenté le 3 septembre, le plan de relance fait la part belle à la transition écologique : 1,25 milliard d’euros doivent notamment être consacrés à la biodiversité et à la lutte contre l’artificialisation des sols. Dans ce cadre, un fonds pour le recyclage des friches sera abondé à hauteur de 300 millions d’euros. Une aide directe de 350 millions d’euros est également annoncée afin d’inciter les élus locaux à densifier les projets de construction sur leur territoire. Autre annonce en faveur de la densification : après une circulaire fin août, un projet de loi devrait renforcer les critères d’examen des autorisations d’exploitation commerciale pour tenir compte de l’objectif «zéro artificialisation nette » (ZAN) – et ainsi prévenir l’apparition de nouvelles friches.

En savoir + : https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance

 

Pollution des sols : le Sénat s’invite dans le débat
Le 10 septembre, la commission d’enquête sénatoriale sur la pollution industrielle et minière des sols présentait son rapport, appelant à « assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l’avenir ». Avec un volet «friches » ambitieux, ­préconisant la création d’un fonds national pérenne dédié à la réhabilitation des sites et sols pollués, qui serait doté de 75 millions ­d’euros par an, sur quinze à vingt ans. 
Autres propositions phares : 
– instaurer un droit de la protection des sols et une obligation d’information en cas de connaissance d’une pollution, 
– étendre l’obligation pour les exploitants de constituer des garanties financières, 
– renforcer les secteurs d’information sur les sols (SIS) créés par la loi Alur de 2014.
En savoir plus : www.senat.fr/rap/r19-700-1/r19-700-1.html

 

Questions à…
Jean-Louis Denoit, maire de Viviez (12)
« Sur la dépollution, on tourne en rond »
Vous avez conduit deux reconversions réussies en zone rurale. Quels obstacles avez-vous rencontrés ? 
La faisabilité de ces opérations n’est pas la même partout. Elle est même parfois inexistante. Des obstacles récurrents demeurent : la valeur du foncier, très variable selon les ­territoires ; les coûts de dépollution, disproportionnés pour des petits budgets communaux ; le manque d’ingénierie. Surtout, ces friches ont parfois été abandonnées par les derniers exploitants, en liquidation judiciaire. Si l’obligation de dépolluer leur incombe, 
l’exploitant et/ou le propriétaire du site disparaît souvent, et avec lui sa solvabilité...  

Les outils s’améliorent-ils pour autant ? 
En matière de dépollution, on tourne en rond : les normes se durcissent, mais les responsabilités de chacun restent floues. Les maires ­requalifient souvent en activité industrielle, la dépollution étant minimale lorsque l’on conserve l’usage initial du site. Ce n’est pas un hasard si on a mis dix ans à mettre en place les secteurs d’information sur les sols (SIS) : on n’est jamais à l’abri d’une surprise lorsqu’on réalise des forages sur ces terrains. La piste d’un bonus-malus pour alimenter un fonds dédié aux friches est donc intéressante. Mais il faudra trouver un équilibre avec les porteurs de projet.

Pensez-vous que l’objectif ZAN soit adapté à tous les territoires ?
Avec la crise post-covid, de nouvelles friches pourraient apparaître, liées à des activités ­jusqu’ici prospères, comme l’aéronautique, très présent en région Occitanie. Les licenciements annoncés risquent de vider des bâtiments construits il y a moins de cinq ans. ­Lutter contre l’étalement urbain, c’est bien, mais n’oublions pas les territoires ruraux, déjà ­marqués par la désindustrialisation… 
Propos recueillis par C. S-A.

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°383 - Octobre 2020
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