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Maires de France


Juridique
04/05/2021
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Analyse - Le délit de prise illégale d'intérêt

Un arrêt de la Cour de cassation rappelle l'interprétation très large de la notion de prise illégale d'intérêt par les juges. Les élus doivent donc agir très prudemment. Par Fabienne Nedey

La notion juridique de prise illégale d'intérêt défend, au-delà de l'homme et de ses intentions, la fonction publique contre tout risque de compromission. Son interprétation très large par le juge pénal est redoutable pour les élus. Un arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 2018 (1) l'a rappelé.
Dans cette affaire, une commune avait cédé des terrains à un promoteur immobilier afin de construire un éco-quartier. Le lauréat retenu était un ami de longue date du maire. Ce dernier a été condamné pour prise illégale d’intérêt, la Cour estimant que l’existence d’une relation d’amitié était constitutive d’un intérêt, même si le maire n’a tiré aucun bénéfice financier de l’opération. Compte tenu de sa relation avec le candidat, le maire aurait dû s’écarter du dossier. Mais en l’occurrence, il a pris une part active aux étapes désignant le cessionnaire du terrain : il a présidé le jury pour désigner le candidat, signé le contrat, participé à la délibération du conseil municipal désignant la société, assisté à celle supprimant la condition résolutoire obligeant le promoteur à verser une caution. C’est donc presque un cas d’école. La nouveauté étant que, dans la jurisprudence antérieure, la prise illégale d’intérêt était souvent caractérisée à partir d’un lien de parenté. Désormais, il est donc établi qu’elle concerne aussi les liens d’amitié.
 

I - Rappels sur la notion de prise illégale d’intérêt

La prise illégale d’intérêt, définie à l’article 432-12 du Code pénal, réprime le fait, notamment pour une personne investie d’un mandat électif public, « de prendre, recevoir ou conserver, de manière directe ou indirecte, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement  ». Trois éléments sont donc constitutifs du délit de prise illégale d’intérêts :
– un mandat électif,
– l’administration et la surveillance,
– l’intérêt.
Cette disposition punit non seulement ceux qui ont délibérément cherché à profiter de leurs fonctions, mais elle a aussi pour but de prévenir tout soupçon dont les élus pourraient faire l’objet concernant la confusion de leurs intérêts privés et des intérêts de la commune. De par ce caractère très général, le délit de prise illégale d’intérêt est fréquent. Beaucoup d’élus le commettent, sans forcément s’en rendre compte et sans avoir l’impression de tirer profit de la décision prise. On peut citer par exemple le cas d’un adjoint au maire viticulteur, condamné pour prise illégale d’intérêt pour avoir livré du vin, à prix coûtant, à la maison de retraite municipale. Le maire, les adjoints et les conseillers municipaux doivent donc agir avec la plus extrême prudence dès lors que leur commune doit traiter d’une affaire susceptible de les concerner personnellement, même de très loin.
 

II - Focus sur la notion de surveillance

L’administration et la surveillance sont appréciées de manière très large par la jurisprudence (préparation, proposition, présentation de rapport ou d’avis en vue de la prise de décisions par d’autres personnes…). En clair, même quand l’élu « intéressé  », simple conseiller municipal, ne dispose pas d’un pouvoir de décision, s’il a joué un rôle, même modeste, dans la proposition ou la préparation de la décision, il pourra être condamné. Le juge estime que le seul fait, pour un élu local « intéressé  », de participer, même sans voter, et même dans le cas où il quitte la salle au moment du vote, à la réunion de l’organe délibérant de sa collectivité vaut surveillance ou administration de l’opération. Pour prévenir le risque de condamnation, mieux vaut donc adopter une stricte attitude de retrait, ne jouer aucun rôle dans la préparation de la décision, s’abstenir de toute participation à des réunions ou commissions dans lesquelles le projet est simplement examiné et ne pas participer à la réunion au cours de laquelle la délibération est prise. Toutefois, ceci n’est pas toujours suffisant car, concernant les maires en particulier, le juge va jusqu’à sanctionner une suspicion d’influence. La jurisprudence considère en effet que les maires conservent le contrôle et la surveillance des affaires de la commune, même pour les affaires pour lesquelles ils accordent délégation à leurs adjoints. Concrètement, cet exercice de la surveillance est tellement mécanique que lorsqu’un maire a un intérêt dans une affaire, même s’il veille à en rester éloigné, s’il se garde d’évoquer le sujet avec les autres membres du conseil municipal, s’il ne participe pas aux commissions ni à la délibération, il risque quand même d’être inquiété. S’agissant des adjoints ou conseillers délégués, le juge se réfèrera à l’arrêté portant délégation pour savoir si le fait incriminé relevait de leurs pouvoirs propres ou délégués, et donc de leur surveillance. Il résulte de cette large interprétation du pouvoir de surveillance qu’a priori, les élus, et tout particulièrement les maires, ne doivent avoir aucun rapport d’intérêt avec la collectivité qu’ils administrent (ne pas être entrepreneur ou fournisseur, ne pas acheter, louer ou vendre un bien à la commune, etc.).
 

III - Une interprétation pragmatique et extensive de « l’intérêt  »

La notion de l’intérêt est, elle aussi, interprétée de façon très large par le juge. Elle ne couvre pas seulement un profit personnel ou la perception directe de bénéfices, d’avantages pécuniaires ou matériels. Elle s’étend à un intérêt moral ou affectif. Elle peut être directe ou indirecte, par personnes interposées. Le juge recherche le lien avec le patrimoine personnel, au-delà des montages juridiques pouvant le dissimuler, et considérera que l’intérêt est établi lorsque le patrimoine de la famille – et également celui des amis – est concerné. Attribuer à un proche un marché public, recruter comme agents communaux les enfants de ses adjoints, et même instruire le dossier de sa propre entreprise dans le cadre d’une procédure d’aide aux entreprises (alors qu’elle est parfaitement éligible aux aides) constitue une prise illégale d’intérêt. Un maire qui, pour favoriser l’installation rapide d’une entreprise créatrice d’emploi, avait procédé à un échange de terrains qu’il possédait en propre avec le propriétaire de ceux nécessaires à l’installation de l’entreprise, puis qui avait cherché à récupérer la compensation des terrains abandonnés sous forme d’attribution directe par la voie du remembrement ou de cession par la commune a aussi été condamné.
 

IV - Communes de moins de 3 500 habitants :
des exceptions qui sont très encadrées

L’article 432-12 du Code pénal prévoit des exceptions au profit des élus des petites communes : il leur donne une petite marge de manœuvre concernant l’exécution de marchés modestes. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent ainsi traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers, ou la fourniture de services, dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros. En dessous de ce seuil, un entrepreneur local pourra donc se voir confier l’exécution de travaux au profit de la commune dont il est élu. L’article autorise également, de façon explicite, les élus de ces petites communes à acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle, à conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement, ou à acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Dans ces cas de figure, après estimation des biens concernés par le service des domaines, l’acte doit être autorisé par une délibération motivée du conseil municipal. Le maire, l’adjoint ou conseiller intéressé ne doit pas participer à la délibération relative à la conclusion ou à l’approbation du contrat. Il faut cependant rester très prudent avec ces exceptions, qui sont d’interprétation limitative. La conclusion d’un bail commercial ou d’un bail rural, par exemple, non mentionnés dans l’article 432-12, constitue une prise illégale d’intérêt. Par ailleurs, la Cour de cassation contrôle le strict respect des procédures et refuse à l’élu qui ne les a pas respectées le bénéfice exonératoire de responsabilité pénale de ces dispositions. Ainsi, la possibilité d’invoquer ces dérogations a été refusée à un maire d’une commune de moins de 3 500 habitants qui avait décidé, seul, de l’attribution à son beau-frère d’un contrat de maîtrise d’œuvre pour la rénovation d’un bâtiment communal.

(1) Cour de cassation, chambre criminelle, audience publique du jeudi 5 avril 2018. N° de pourvoi : 17-81912. www.legifrance.gouv.fr

 

Sanctions
La sanction encourue pour prise illégale d’intérêt est de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende, éventuellement assortie de peines complémentaires sur le fondement de l’article 131-26 du Code pénal (interdiction des droits civiques, droit de vote, etc.). De plus, toute condamnation pénale pour des délits relatifs à la probité (délits de prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, favoritisme, etc.) peut entraîner jusqu’à cinq ans d’inéligibilité. Enfin, les proches qui auraient été bénéficiaires de l’opération peuvent être poursuivis au titre de recel, voire de complicité. 

 

Mesures préventives
La situation de conflit d’intérêt fait l’objet d’une double législation visant à prévenir ce risque, qu’il est conseillé d’appliquer de façon cumulative.

• L’article L. 2122-26 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) précise que « dans le cas où les intérêts du maire se trouvent en opposition avec ceux de la commune, le conseil municipal désigne un autre de ses membres pour représenter la commune, soit en justice, soit dans les contrats ». Cette disposition prévoit donc la désignation, par délibération, d’un représentant autre que le maire.

• La loi sur la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013 a créé une définition du conflit d’intérêt : « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés, qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial ou objectif d’une fonction ». Les personnes titulaires de fonctions exécutives locales qui estiment se trouver dans une situation répondant à cette définition « sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s’abstiennent d’adresser des instructions ».

Le décret d’application du 31 janvier 2014 définit les conditions dans lesquelles des élus locaux peuvent régler les situations de conflits d’intérêts en s’abstenant de participer au traitement de l’affaire en cause. L’élu local à la tête de l’exécutif prend un arrêté par lequel il précise les procédures dans lesquelles il entend s’abstenir de faire usage de ses attributions et désignant la personne chargée de le suppléer. Les autres élus délégataires pensant être dans une situation de conflit d’intérêts en informent par écrit l’élu déléguant et précisent les questions pour lesquelles ils estiment ne pas devoir exercer leurs compétences. Un arrêté de leur délégant doit ­déterminer précisément les sujets pour lesquels ces élus doivent se mettre en retrait.

 

Références
• Article 432-12 du Code pénal.
• Article L. 2122-26 du Code général des collectivités territoriales.
• Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
• Décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 portant application de l’article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

 

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°390 - MAI 2021
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