Les communes face au défi de leur transition énergétique
Pour respecter les accords de Paris, la France n'aura bientôt plus de centrales au charbon. Et pour réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité, elle engage la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Les élus qui s'opposent à la fermeture de leur centrale le font souvent au nom de l'indépendance énergétique de la France et de leur région. Selon Réseau de transport d'électricité (RTE), pas de problème dans l'est et le sud de la France. La fermeture de Fessenheim et du Havre seront compensées par des interconnexions avec le Royaume-Uni et l'Italie. C'est dans le Grand Ouest que la situation serait la plus tendue, à partir de 2022, si Cordemais fermait. En effet, l'EPR de Flamanville et la centrale gaz de Landivisiau ne seront pas encore en service, et des centrales nucléaires seront fermées pour visite décennale. La décision a donc été prise de reculer à 2026 la fermeture complète de Cordemais. Rappelons cependant que la production des centrales au charbon intervient surtout pour les pointes de consommation en hiver.
Conséquences fiscales majeures
La fermeture des centrales au charbon doit permettre à la France de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de respecter son engagement à limiter le réchauffement climatique à 1,5° ou 2° conformément à l’Accord de Paris. En effet, si les centrales au charbon produisent 1,2 % de la consommation nationale d’électricité, elles émettent 30 % des émissions de GES du secteur électrique. Ce qui correspond à 10 millions de tonnes de CO2, soit les rejets de 4 millions de véhicules individuels par an. Indispensable donc pour l’État de les fermer afin d’atteindre l’objectif zéro carbone inscrit dans la loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019.
Même si l’annonce de la fermeture des centrales n’est pas une surprise, l’échéance proche en est une. «Je suis surpris pas le délai de deux ans pour fermer, reconnaît Jean-Pascal Gournès, maire de Meyreuil (5 500 hab.), site de la centrale de Gardanne-Meyreuil dans les Bouches-du-Rhône. Je suis ingénieur. Je sais que le temps de l’industrie n’est pas le temps du politique. J’ai déjà vécu la fin de la houillère en 2003. Il a fallu 15 ans pour préparer la reconversion. Je suis d’accord pour l’arrêt de la centrale mais là, nous sommes pris de court.» De même, André Wojciechowski, maire de Saint-Avold (Moselle, 15 900 hab.), s’inquiète des «problèmes de transition avant l’arrivée des nouvelles entreprises ». Au Havre, pas de réaction notable du côté de la collectivité.
En revanche, pour Gérard Hug, maire de Biesheim (Haut-Rhin, 2500 hab.) et président de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach (29 communes, 33000 hab.), où se trouve Fessenheim, «cette fermeture est politique, c’est un gage pour les antinucléaires. Techniquement, la centrale fonctionne », déplore-t-il en pointant particulièrement les conséquences financières (2). Il s’estime victime du fonctionnement du Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Les communes et EPCI qui, à la suite de la création de la contribution économique territoriale (CET) en 2010, touchent davantage que ce que leur rapportait la taxe professionnelle, versent le surplus aux communes et EPCI lésés. Problème: les montants sont figés, même si les recettes baissent ou augmentent. Or, la commune de Biesheim et l’EPCI Pays Rhin-Brisach versent 2,8millions d’euros au FNGIR, qu’ils continueront à verser après la fermeture de Fessenheim et la perte des 3,5 millions de CET versés par EDF! «Ce sera autant d’investissements en moins», déplore le président de la communauté qui dénonce un «cataclysme » pour la collectivité et estime que l’État doit trouver une solution. Un projet de SEM franco-allemande pour le traitement des déchets issus de la déconstruction des centrales nucléaires est bloqué notamment par les élus de la communauté en attendant une solution à ce problème.
Aides aux collectivités
« Conformément à l’engagement de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, pendant le PLF 2020, un groupe de travail sera créé en avril 2020 pour réfléchir à une possible évolution du FNGIR », précise-t-on au ministère de la Transition écologique et solidaire. On y souligne également qu’un accompagnement ad hoc a été voté en loi de finances 2019 et prévoit une neutralisation intégrale des pertes de fiscalité pendant trois ans, puis dégressive pendant sept ans» . Plus généralement, la loi prévoit des dispositifs de compensation fiscale pour les communes concernées (lire p. 28).
En outre, la loi de finances pour 2020 a inscrit 40 Me de crédits qui «viendront accompagner des projets inscrits dans le cadre des contrats de territoire (lire ci-contre). L’État viendra ainsi compléter les tours de table d’ores et déjà menés avec des crédits de droit commun, des moyens de ses opérateurs, ainsi que des investissements des collectivités territoriales et des partenaires privés », explique-t-on au ministère. De plus, 10 Me sont inscrits en crédits de paiement, qui serviront essentiellement à financer les engagements de l’État dans le cadre de la réalisation des premiers volets du projet de territoire de Fessenheim.
André Wojciechowski, à Saint-Avold, est lui franchement opposé à la fermeture de la centrale, au nom de l’indépendance énergétique. "D’accord, il faut mettre fin au charbon un jour. Mais nous manquerons d’électricité si Chooz, Fessenheim et Saint-Avold ferment. J’ai proposé à Emmanuelle Wargon de créer une troisième tranche de cycle combiné gaz". La centrale Émile-Huchet de Saint-Avold, propriété de Gazel Énergie, filiale d’EPH qui appartient à un investisseur tchèque, dispose en effet de deux tranches de production d’électricité à cycle combiné gaz. Celles-ci seront vendues à Total, dont le maire souligne le rôle positif pour la création d’un pôle chimie verte. En lieu et place de la tranche charbon, EPH soutient un projet de chaufferie à combustibles solides de récupération (CSR), qui permettrait de vendre de la vapeur aux autres entreprises de la plateforme de Carling. Ce projet figure dans le pacte territorial, signé début janvier 2020 entre la commune et l’État.
(1)ecologique-solidaire.gouv.fr (rubrique "Centrales à charbon").
Autre site appartenant à Gazel Énergie, celui de Gardanne-Meyreuil, dont la tranche charbon doit fermer en 2022. «Demain, quand il n’y aura plus de pétrole et de gaz, on aura besoin de charbon. Ce n’est pas une façon progressiste de régler le problème, estime Roger Meï, maire de Gardanne, qui affirme possible d’avoir du charbon propre et de stocker le CO2, ce qui, ne serait-ce que pour des raisons économiques, ne convainc pas un grand nombre d’experts.
De son côté, «Cordemais restera un site industriel de fabrication énergétique », estime le maire. Le propriétaire, EDF, y expérimente le procédé EcoCombust qui permettrait de produire de l’électricité en remplaçant en partie le charbon par de la biomasse, plus précisément des granulés issus des déchets de bois d’industrie. Problème : cette biomasse brûle avec l’apport de 20 % de charbon, ce qui interdit d’y recourir à Cordemais au-delà de 2026. Après cette date, EDF produirait les granulés pour un marché local de chauffage urbain. «L’État pourrait valider le projet», précise Joël Geffroy si les essais sont concluants techniquement et économiquement. Au Havre, le 13 janvier, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État à la Transition écologique, s’est montrée cependant peu enthousiaste. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2023 «expose clairement les raisons justifiant une orientation prioritaire de la biomasse vers des usages chaleur, plus efficients que l’utilisation de biomasse pour la production d’électricité », rappelle-t-on au ministère. L’expérimentation EcoCombust a d’ailleurs été abandonnée au Havre. Tous les salariés des centrales ne pourront être reclassés sur place. Les difficultés seront moindres au Havre et à Cordemais, propriété d’EDF : l’électricien transfèrera le personnel dans d’autres centrales ou aidera à sa reconversion.
Impact économique
« Il n’y aura pas d’impact social massif, nous sommes sur un territoire très dynamique au niveau de l’emploi », reconnaît Joël Geffroy, maire de Cordemais, qui apprécie que l’État fournisse une aide à l’ingénierie avec des subventions ciblées pour faire venir des entreprises. À Saint-Avold, le personnel travaillant sur les tranches gaz sera repris par Total. Mais, «quid des jeunes et du savoir-faire de la centrale à charbon ?», s’interroge André Wojciechowski, soulignant qu’entre la fermeture de la centrale et l’arrivée des nouvelles entreprises, il peut se passer cinq ans pendant lesquels il faudra bien employer les gens.
Gérard Hug s’inquiète de l’impact de la fermeture de Fessenheim sur le commerce local. «La masse salariale de la centrale retourne dans l’économie locale. Je voudrais un accompagnement des commerces et petits artisans », indique l’élu. À Gardanne, c’est l’inconnu, les salariés de la centrale à charbon étant en grève depuis plus d’un an, ce qui bloque tout projet clair de la part de l’investisseur EPH. La pérennité du statut des industries électriques et gazières (IEG) est en cause. À Meyreuil, où le taux de chômage est bas et qui dispose d’un pôle d’innovation technologique, le maire compte sur un futur pôle énergie renouvelable. La situation est différente à Gardanne, avec 20 % de taux de chômage et une population socialement fragile, dont la reconversion est plus difficile. Pour les salariés gardant un emploi au statut IEG, au sein d’EDF ou de Gazel Énergie, pas de problème. Pour les autres, «un accompagnement spécifique sera détaillé dans le cadre d’une ordonnance qui sera adoptée en application de la loi énergie-climat d’ici mai 2020 et ouvrira la voie à des mesures complémentaires de la part de l’État», rappelle le ministère de la Transition écologique et solidaire. Pas de quoi vraiment rassurer les élus.
L’État a prévu de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité, en France, d’ici à 2035. (2) Une mission d’information sur le suivi et la fermeture de Fessenheim a été créée à l’Assemblée nationale. Elle remettra un premier rapport en juillet.
- il renforce le dispositif déjà existant de compensation de pertes de contribution économique territoriale (CET) et l’élargit à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER). La compensation des pertes exceptionnelles de CET ou d’IFER est étendue de 3 à 5 ans. Le nouveau dispositif permet aussi la concomitance de l’année de constatation de la perte de recettes fiscales et de l’année de compensation;
- il crée un nouveau fonds de compensation horizontale des pertes de produits d’IFER applicable aux installations de production d’électricité (nucléaire ou thermique). Le fonds est alimenté par les 50 communes et EPCI à fiscalité propre (2,4 M€ par an) qui perçoivent l’IFER nucléaire ou thermique pour un montant total de 122 M€.
La durée de la compensation des pertes d’IFER est fixée par la loi à dix ans. Elle est totale les trois premières années puis dégressive pendant sept ans. (1) www.amf.asso.fr (réf. CW39537).
Cet article a été publié dans l'édition :
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