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11/10/2021
Citoyenneté Écoles, éducation, alimentation Social

Les élus misent sur la médiation de terrain

Noceurs, squatteurs, dealers, marginaux... De jour comme de nuit, un certain nombre de situations se jouent dans la rue. Des quartiers de La Rochelle (17) aux communes rurales du Jura (39), des élus ont choisi de privilégier la médiation pour prévenir les dérives, soigner les personnes et leur permettre d'accéder à leurs droits.

Emmanuelle Stroesser
Illustration
"Indépendant, neutre, bienveillant" sont les qualités requises pour remplir le rôle de médiateur social.
Au bas d’un quartier d’immeubles de Mireuil, dans l’agglomération de La Rochelle (17), les jeux de ballon se déroulent sur un espace de jeu en plein air. Le soleil tarde à se coucher. Les adultes aussi. Des enfants zigzaguent parfois à vélo. Willy, Cindy, Arlette déambulent au milieu d’eux, à pied. Ils observent, saluent, se rapprochent d’une fillette qui a eu plus de peur que de mal en tombant. C’est le début de leur «ronde pédestre », «pour être vus, aller au-devant de la population », explique le chef d’équipe. La tournée de ceux qu’on appelait les «correspondants de nuit » à leurs débuts, il y a une vingtaine d’années, durera jusqu’à deux heures du matin.

Le circuit des trois médiateurs de l’Agence locale de prévention et de médiation sociale (ALPMS, financée par la communauté d’agglomération de La Rochelle et ses partenaires) s’adapte aux demandes des mairies et des bailleurs sociaux, ainsi qu’aux urgences. Les quartiers prioritaires, Villeneuve, Mireuil et Port Neuf, font partie des incontournables. Parfois, il s’agit juste d’aller expliquer à des jeunes qu’« il vaut mieux démarrer son scooter plus loin que sous les fenêtres ».

Rencontrer les jeunes

Ce soir, ils vont essayer de rencontrer une bande de jeunes gens qui joue à cache-cache dans un recoin normalement interdit en soirée. Une équipe de maintenance de la ville croise les médiateurs. Elle les prévient que le jeu dégénère. Les gamins ont brûlé un scooter, juste à côté du jardin d’enfants et de la protection maternelle infantile (PMI). Willy a les clés pour y pénétrer. Hormis des mégots, aucune trace de jeunes. L’équipe repassera plus tard, à la nuit tombée. D’ici là, elle reprend la voiture de service pour se rendre sur la commune de Lagord, «vérifier que les gens du voyage ne sont pas revenus sur un terrain ».

L’heure est encore calme. C’est à partir de 22 heures que cela commence à devenir plus tendu, que le téléphone sonne et que les interventions pour «nuisances sonores » se multiplient. «C’est un métier qui a de l’avenir vu le nombre de situations que nous désamorçons », sourit le chef d’équipe, Willy.

À quelques minutes en voiture, dans le centre-ville de La Rochelle (76 114 hab.), l’équipe de ronde de nuit de la police municipale intervient à son tour. C’est son périmètre réservé. Celui où, passé 22 heures, les situations d’ivresse peuvent vite déraper. Les médiateurs n’y interviennent pas. «La problématique des regroupements de personnes sans-abris, parfois alcoolisées, y est trop compliquée », justifie Samuel Arzur, directeur de l’ALPMS.

« On pensait que c’étaient des zonards, des marginaux. En fait, nous avons compris qu’il s’agissait des lycéens et des étudiants qui fêtaient la fin de semaine.»

Déjà, certains se collent aux façades pour conserver un semblant de stabilité. Le corps penche un peu, les pieds se cherchent. Les agents de la police municipale s’arrêtent. «Ça va monsieur ? Vous êtes tout seul ? »… Certaines places et rues, jadis réputées pour leurs nuits d’ivresse, envahies d’étudiants dès le jeudi soir, sont aujourd’hui remplies de tablées qui dînent. L’ambiance est plutôt bon enfant. «Il est encore tôt », glisse l’adjointe à la responsabilité des unités de nuit, Jamila Essafi. Sur la plage de la Concurrence, proche du centre-ville, les attroupements sont déjà plus nombreux, la nuit commence. L’équipe repassera. 

« En fait, nous avons travaillé par pallier depuis 2005 », raconte Danielle Cherifi, responsable de la tranquillité publique à La Rochelle. Sur la place dite de la Solette, la margelle en pierres où s’asseyaient les noceurs tout autour de l’arbre a été supprimée. «Résultat immédiat ! » La ville avait fait appel à deux sociologues pour comprendre qui se réunissait sur cette place. D’où venaient les cris qui inquiétaient des riverains. «On pensait que c’étaient des zonards, des marginaux mais, en fait, nous avons compris qu’il s’agissait des lycéens et des étudiants qui fêtaient la fin de semaine. » 

Se réapproprier l’espace public

Les cris n’étaient que les manifestations désinhibées de fêtards très imbibés… «Ils amenaient leurs boissons, leur guitare. » La place était devenue «un espace de jeu et de fêtes mais autour, rodaient les prédateurs, les dealers… On s’est mis en tête de changer l’image du lieu, à faire en sorte que l’espace soit occupé. Bref, à se réapproprier l’espace », explique Danielle Cherifi. Par exemple, en facilitant l’installation d’une première terrasse sur la place. Ce travail a duré deux ans, sous une forme de «recherche action » menée par les sociologues. Puis, une équipe de médiation a été mobilisée pendant cinq ans. Enfin, le dispositif a évolué jusqu’à la création de la brigade de police municipale de nuit.

Une autre équipe, chargée de prévenir les risques liés à la consommation d’alcool et les risques de violences sexuelles, navigue de groupes en groupes, chargée d’une mission de santé publique. En amont des soirées, la ville travaille maintenant régulièrement avec les bureaux étudiants des grandes écoles et les établissements de nuit, explique Christophe Bertaud, adjoint au maire chargé de la vie nocturne. En novembre, il va les réunir avec les services santé, prévention et sécurité de la ville.

Il faut presque «réapprendre » à vivre ensemble.


                                             
Pour lui, s’occuper de la «vie nocturne », c’est chercher en permanence à «trouver un équilibre » entre «le sommeil des uns, les souffrances des marginaux, entre ceux qui travaillent, les festivités et la sécurité. On a aussi besoin de préserver cette vie ». Aujourd’hui, il faut presque «réapprendre » à vivre ensemble. Entre confinements, sorties de confinement, mal-être et retrouvailles sociales, la crise sanitaire montre l’utilité de la médiation sociale à de nombreux élus. 

À l’opposé de La Rochelle sur la carte de France, son collègue, Thierry Gaffiot, adjoint au maire en charge des affaires sociales de Lons-le-­Saunier (Jura, 17 320 hab.), se souvient de l’été 2020. Un «été compliqué », avec des palettes brûlées, des rassemblements, des rixes en centre-ville, surtout le week-end. L’élu a activé une cellule de veille pour y réunir police, élus, acteurs sociaux du département et de la ville, éducateurs de rue, bailleurs sociaux.

C’est là que tout le monde a compris que «ces évènements ne mettaient en fait que peu de gens en cause », avec des «addictions marquées » (alcool et drogues). Cet été, la saison a été «plus ordinaire », la commune avait aussi misé sur les départs d’enfants en vacances dans le cadre du dispositif «Vacances apprenantes », même s’il a fallu se battre pour obtenir des crédits…

Dans cette ville comme dans beaucoup d’autres, il y a aussi une «rue de la soif » et, en journée, une artère commerçante avec des personnes qui y trainent, s’alcoolisent, environ une vingtaine de personnes. «Ce sont des personnes qui ont d’autres problèmes souvent. Nous n’avons pas de solution clé en main. C’est long, les habitants ne voient pas ce travail de fond. Ce ne sont pas des sans-abris, mais des “à la rue” qui ont un toit. Cela rend le travail encore plus complexe », expose l’élu.

Neutralité et impartialité

Le nom floqué au dos de leurs gilets et polos ne trompe pas : médiateur en lettres capitales. Toutes les structures de médiation présentent ces signes extérieurs. Cela pose «la neutralité et l’impartialité », selon ces professionnels. «Indépendant », «neutre », «bienveillant » sont les qualités requises pour remplir le rôle de médiateur social. Dans les communes de l’agglomération rochelaise, cela fait des années qu’ils tournent. L’ancien maire de La Rochelle, Michel Crépeau, avait été à l’origine de l’agence locale de prévention et de médiation sociale, à la fin des années 1990.

Sur le département voisin de Charente, Angoulême (41 711 hab.) est un autre terreau historique de la médiation sociale. Elle a fait ses preuves à Ruelle-sur-Touvre (7 246 hab.), il y a quelques années, pour la résolution d’un conflit d’usage de l’espace public via la création d’un city-stade. Les gamins dégradaient, zonaient, les riverains grognaient. «On a réuni, écouté, rapproché et proposé », résume le directeur actuel de l’association Omega, Cédric Jégou. «Il peut y avoir des carences dans l’aménagement de l’espace public qui génèrent des conflits. » La médiation sert à les désamorcer, à repérer et combler les manques.

« Il nous a fallu un an pour se faire accepter, avec des phases, des tests, de la défiance, mais aujourd’hui, l’espace est pacifié, on retrouve de la mixité de genre.»

La méthode a été une nouvelle fois éprouvée récemment, à propos de «barbecues sauvages » dans un quartier de Soyaux. Elle a débouché sur l’aménagement de «vrais » barbecues et de tables sous des tonnelles. «Et ça fonctionne très bien ! » En 2018, c’était une autre ambiance, éruptive. Des violences urbaines ont embrasé le quartier. Omega a aménagé un local dans la partie vacante d’un centre commercial, en plein cœur du quartier. «Il nous a fallu un an pour se faire accepter, avec des phases, des tests, de la défiance, mais aujourd’hui, l’espace est pacifié, on retrouve de la mixité de genre », résume Cédric Jégou. Le local a même été labellisé France services, ce qui permet d’alimenter un flux d’allées et venues d’habitants, qui participe à la tranquillité publique. 

La médiation a cependant ses limites. «C’est en amont d’importants problèmes qu’on peut intervenir. Car sur les trafics de drogue, on ne peut rien », affirme le directeur d’Omega. L’association a grandi sous l’aile de la municipalité d’Angoulême. C’était en 1998. Sa mission première reste d’assurer le lien social dans les quartiers. Anne-Marie Terrade, l’actuelle présidente de l’association, également maire de Dirac (1 530 hab.), l’une des communes rurales du Grand Angoulême, voudrait que ces petites communes s’en saisissent davantage, pour éviter de laisser certaines situations «s’enkyster ». «Car la médiation n’est pas magique. Si on intervient trop tard, il est difficile de régler la situation. » C’est un travail de fond que les élus doivent mener en partenariat avec le centre communal d’action sociale (CCAS), le département, etc.

Des maraudes en milieu rural

Au nord de la Loire, dans l’agglomération de Roanne, Clotilde Robin réfléchit aussi avec ses collègues à élargir l’offre de médiation sociale aux 40 communes plus rurales de l’agglomération «car ils ont aussi des difficultés », constate l’adjointe au maire et vice-présidente de Roannais agglomération. Ce matin, elle lit, comme chaque semaine, le compte-rendu du médiateur social – elle préfère cette appellation à celle d’«adulte-relais », du nom du dispositif qui a permis à l’agglomération de créer deux postes, il y a huit mois. Avec un premier recrutement dans la foulée.

Ce médiatRoannais agglomérationeur est vite devenu «la vigie de la rue », il travaille en «immersion », «au pied des tours ». Il sillonne les trois quartiers politique de la ville de Roanne (40 000 hab.). Il y démêle des situations plus ou moins tendues : conflit de voisinage, rappel des règles de civisme (« on ne roule pas sur les trottoirs »…). Il rapporte les plaintes des habitants qui n’en peuvent plus des «rodéos urbains ». Avec le recrutement du deuxième médiateur, Clotilde Robin voudrait que l’action s’étende à l’intercommunalité. Xavier Rochefort, président du réseau France Médiation, acquiesce : «la problématique et les populations sont mouvantes. Donc, si vous vous cantonnez à un quartier ou une commune, vous risquez les effets repoussoir sur un autre territoire ».

En milieu plus rural, «la médiation sociale est aussi la réponse pour aller vers les invisibles », estime Clotilde Robin. C’est ce que fait tous les matins le binôme féminin de la «maraude rurale » du Jura. L’infirmière et la travailleuse sociale, recrutées par le CCAS de Lons-le-Saunier, prennent leur voiture pour aller à la rencontre de ces marginaux qui vivent dans les sous-bois. Leur situation n’est pas moins dramatique parfois. Comme cette personne errante hébergée par la population d’un village sous un lavoir, cette autre vivant dans sa voiture, juste à côté de sa maison reconvertie en grande poubelle (syndrome de Diogène), ou encore ce «camp d’hindous » qui ne posait pas de problème avec leurs chiens, jusqu’à ce que la chasse commence. 
Ces deux femmes sont sur les routes depuis mars 2020.

Thierry Gaffiot, l’adjoint au maire, en parlerait des heures. Il s’interrompt... fredonne l’air de Charles Aznavour qui lui revient en tête quand il évoque ces situations mises en lumière par la maraude rurale et auxquelles une réponse professionnelle est aujourd’hui proposée en terme de santé et d’accès aux droits. «Non, la misère n’est pas moins pénible… sous les pins non plus », entonne-t-il. Au CCAS de Lons-le-Saunier, le directeur, Éric Mourez, explique : le binôme ne se déplace que sur signalement (du 115, d’une mairie). «Avant d’aller au contact de la personne signalée, elles rencontrent les élus et les acteurs du territoire. » Elles suivent déjà près d’une trentaine de situations. Comme en ville, leur mission première est de «gagner la confiance ». Peu importe le temps que cela doit prendre.

 

« Mettre de l’humain » dans 45 quartiers prioritaires
Lors du Comité interministériel des villes du 29 janvier dernier, le gouvernement a annoncé le recrutement de 600 éducateurs de rue et médiateurs sociaux au sein de « bataillons de la prévention » dans 45 quartiers prioritaires répartis dans 28 départements. Objectif, formulé par Nadia Hai, ministre chargée de la Ville : ­tisser un «filet de protection contre la délinquance juvénile ».
Les quartiers ont été identifiés suivant plusieurs critères : nombre d’habitants et poids des jeunes, degré de décrochage des jeunes (scolaire, emploi, etc.), niveau de difficultés socio-économiques des familles. À l’issue d’une concertation préfets-collectivités, ­suivra une phase de contractualisation avec les collectivités et structures porteuses de ce dispositif qui bénéficie de 26 ME de crédits (6 ME cette année et 20 ME en 2022).
L’ambition du gouvernement était d’aboutir aux 600 recrutements d’ici à octobre 2021. Les premiers ont été signés à Clichy-sous-Bois début juillet. 192 étaient annoncés pour la fin juillet. Début septembre, dans plusieurs départements, les préfets ont dû relancer les collectivités.
 
 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°394 - OCTOBRE 2021
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