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08/02/2022
Aménagement, urbanisme, logement Environnement

Aménagement. Réduire l'artificialisation des sols

Le rythme d'artificialisation des sols devra être divisé par deux d'ici à 2031 en application de la loi « Climat et résilience ». Et le « zéro artificialisation nette » (ZAN) devra être atteint en 2050. Problème de définition, d'échelle, de compréhension par la population..., les défis à relever par les élus sont nombreux.

Martine Kis
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© AdobeStock
Avec le « zéro artificialisation nette », il ne s'agit plus seulement de planification, de droits à construire ou non, mais aussi de biodiversité, de renaturation.
Une nouvelle ère, une nouvelle époque ». «Un changement de logiciel complet ». «Évolution majeure ». «Une révolution copernicienne »… Ces réactions sont suscitées par un obscur sigle, loin de faire la Une de l’actualité : «ZAN », pour «zéro artificialisation nette ». Un nouveau concept qui s’impose dans l’urbanisme et l’aménagement, pour les décennies à venir, unanimement accepté, mais bien difficile à définir et à mettre en œuvre. Que recouvre l’artificialisation ?

La loi «Climat et résilience » du 22 août 2021 n’étant pas claire à ce sujet, les élus et aménageurs sont pour l’instant dans le flou. L’artificialisation elle-même est définie en deux fois (art. L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme). D’une part, il s’agit de la description du processus d’artificialisation comme atteinte durable aux fonctionnalités écologiques et aux potentialités agronomiques des sols. Une définition qui peut s’appliquer à l’échelle des projets. D’autre part, l’artificialisation est le résultat du calcul du solde entre les flux de sols artificialisés et désartificialisés, ce qui permet d’établir le bilan du ZAN. Un bilan établi à l’échelle des documents de planification et d’urbanisme. À noter que la loi (art. L. 101-2 du Code de l’urbanisme) ne parle pas de ZAN mais d’« absence d’artificialisation nette ». Un décret en Conseil d’État viendra préciser la nomenclature et l’échelle d’appréciation.

« La concertation est engagée à ce sujet avec les collectivités, assure-t-on à Matignon. Le décret sera pris durant le premier semestre 2022. » On souligne que cette définition ne doit entrer en vigueur que dans dix ans puisque, d’ici là, la loi se fonde sur la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) qui doit être réduite de 50 % par rapport à la consommation des dix années précédentes. «Ce temps permettra de préciser la définition et de mettre en place des observatoires à grande échelle pour identifier les terrains artificialisés ou non », ajoute Matignon.

Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville (22 000 hab., Seine-et-Marne), a représenté l’AMF lors de nombreuses réunions et auditions au Sénat et à l’Assemblée nationale consacrées au projet de loi. «Ce sujet est complexe et piégé, estime-t-il. La loi se contente de donner un objectif et laisse la définition à un décret. Nous avons protesté dès le début : si la loi fixe un objectif lourd de conséquences, elle ne peut laisser au décret le soin de préciser la loi. » S’agirait-il de pusillanimité de la part du gouvernement ? Guy Geoffroy n’est pas loin de le penser.

Lorsque le 16 octobre 2021, Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, déclare que «le modèle du pavillon avec jardin n’est pas soutenable et nous mène à une impasse », elle suscite une telle levée de boucliers qu’elle doit revenir sur ses propos. Pourtant, selon le maire de Combs-la-Ville, elle avait le mérite de «dire les choses ». En effet, comment protéger les terres agricoles sans changer de modèle, et rapidement ? «L’urgence climatique est à quinze ans, le ZAN dans trente ans », s’inquiète-t-il.

L’une des difficultés vient peut-être de ce que la notion de ZAN vient plus des écologues que des urbanistes, remarquait Philippe Schmit, alors délégué général de l’AdCF, lors d’un webinaire, le 24 septembre 2021, de l’association et du CNFPT sur les enjeux et principes du ZAN. La conséquence est qu’il ne s’agit plus seulement de planification, de droits à construire ou non, mais aussi de biodiversité, de renaturation, de sol dans sa profondeur. Il faut également voir les territoires en trois dimensions, en intégrant la valeur écologique des sols, avec leurs fonctions biologiques, géochimiques, hydrogéomorphologiques, expliquait-il.
 

Concertation entre les collectivités

Dans la pratique, les régions doivent établir le bilan de l’artificialisation à leur niveau pour intégrer la trajectoire ZAN dans leur schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) pour une entrée en vigueur en février 2024 (www.maires defrance.com/1120). Ces objectifs régionaux seront intégrés dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT), d’ici à août 2026, et dans les PLU-i au plus tard d’ici à août 2027. Voici pour le sens descendant.

Auparavant, les conférences des SCoT auront été convoquées et auront fait remonter les positions des EPCI au plus tard d’ici le 22 avril 2022 en l’état actuel du droit (l’AMF et Régions de France ont obtenu un délai supplémentaire de six mois, jusqu’au 22 octobre, dans le cadre du projet de loi «3DS », mais ce report reste cependant suspendu à l’adoption définitive du texte courant février).

Les discussions risquent d’être âpres entre élus, y compris à l’intérieur des EPCI, chacun défendant ses projets de développement pour préserver sa part de consommation d’ENAF. Les communes et intercommunalités les plus vertueuses, celles ayant le moins consommé, ont en effet peur d’être pénalisées par rapport à celles qui ont beaucoup construit. Elles pourraient faire pression pour obtenir une part plus importante de foncier pour se développer. Au détriment des moins vertueuses.

Soucieuse de désamorcer les tensions, Emmanuelle Wargon a annoncé que l’État demandera aux préfets de département «de se mettre à la disposition des maires et des présidents d’EPCI et de SCoT pour travailler, à cette échelle, sur l’analyse des besoins en valeur absolue ». Ce travail «facultatif entre les élus, autour du préfet de département s’ils le souhaitent, nourrira la contribution que les présidents de SCoT feront à l’échelle régionale ». Dans l’esprit du gouvernement, «cela permettra aux départements ruraux – à qui la démarche sera particulièrement utile – d’identifier leurs besoins, avant que tout cela soit traduit dans les Sraddet puis dans les SCoT, les PLU et les PLU-i, qui définiront des parcelles de façon plus précise ».

Un fin observateur des territoires avoue douter de la pertinence de cet emboîtement de documents. Autre question : comment articuler deux horizons de temps et d’exigence, la réduction de consommation de 50 % d’ENAF en dix ans et, en même temps, un objectif de réduction de l’artificialisation, sans définition de ce qu’est cette dernière ? «Comment être en même temps sur la consommation et l’artificialisation » ?

Les SCoT étant chargés de la mise en cohérence des objectifs à l’échelle de leur territoire, on peut craindre un impact sur les relations entre les régions et le bloc communal. «La loi impose des objectifs régionaux. C’est révoltant pour les maires et les présidents d’EPCI. Ils ont des compétences et s’étonnent de devoir tout stopper en attente d’une prise de position régionale », dit Fanny Clerc, avocate chez Rivières avocats associés. Ainsi, si un PLU-i est en cours d’élaboration ou de révision mais n’est pas encore arrêté, la procédure est stoppée jusqu’à ce que le Sraddet décline l’objectif de réduction de consommation des sols.

Autre inquiétude : toutes les collectivités et élus ne savent pas se faire bien entendre au niveau de la conférence des SCoT. D’où la crainte d’une inégalité de traitement chez certains élus, en particulier de petits EPCI. «Dans le silence de la loi sur le fonctionnement des conférences des SCoT, je dis “n’attendez pas, quantifiez, préparez vos programmes” », insiste Fanny Clerc. «L’État dit aux collectivités “débrouillez-vous” au lieu d’avoir une vision plus détaillée » des objectifs et de la méthode, dénonce Antoine Grau, vice-président de la communauté d’agglomération de La Rochelle (17), chargé du PLU-i et du SCoT. «Comment faire du ZAN un outil efficace dans le respect de la libre administration des collectivité locales ? Vaste sujet… », résume Guy Geoffroy.
 

TÉMOIGNAGE
Pierrick Raude, avocat associé senior, Rivières avocats associés
« Une révolution copernicienne dans l’aménagement du territoire »
" La loi “ Climat et résilience ” du 22 août 2021 est une révolution copernicienne dans l’aménagement du territoire. Elle fixe des injonctions et des contraintes chiffrées très fortes sur l’artificialisation des sols alors que les outils pour l’appliquer sont en cours de construction au niveau national et à construire à l’échelle locale.

Par rapport au principe “ éviter-réduire-compenser ” qui invitait à la sobriété, la loi introduit d’importants changements politiques et techniques. L’objectif de réduction de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers, désormais chiffré, d’ici à 2031, va impacter certains territoires et pourrait ­avantager ceux qui ont le plus consommé.

Concernant l’objectif d’absence d’artificialisation en 2050, il n’y a pas  aujourd’hui d’outils permettant de l’atteindre. Par exemple, la fiscalité sur le logement prévoit plus de ­dispositions sur le neuf que sur l’ancien alors que la réhabilitation de bâtiments semble être l’un des axes prioritaires de la loi.

Auparavant, pour mener un projet, on privilégiait la construction sur des terrains non artificialisés. Demain, il faudra vérifier et prouver qu’il n’y a plus d’espace déjà artificialisé et mobilisable. Des outils plus qualitatifs, dès la phase de planification, seront indispensables pour mieux cibler les zones où les projets pourront effectivement se réaliser. »


Territorialiser les objectifs

Comment traduire des objectifs exprimés en pourcentages en hectares urbanisables ? État centralisé oblige, tous les territoires doivent définir leurs objectifs pour 2050 et indiquer leur trajectoire sur dix ans. L’enjeu pour les régions sera de territorialiser les objectifs, en concertation étroite avec les communes et les intercommunalités, souligne l’AMF. Mais un hectare en Creuse ou sur le littoral de Charente-Maritime, ce n’est pas la même chose, relève Antoine Grau. À Lens (62), le maire et co-président de la commission aménagement de l’AMF, Sylvain Robert, estime que la prise en compte de l’artificialisation devrait englober le bassin minier. La ville est riche en friches et donc de foncier déjà artificialisé, mais l’agglomération compte aussi des communes rurales qui aimeraient accueillir de la population. Guy Geoffroy propose de conclure des contrats entre le préfet, les communes et les EPCI.

« Pour appliquer la loi et que le PLU-i ne soit pas soumis à des recours à cause d’une loi pas assez normative, il faut préciser les choses au plus près du terrain, pense-t-il. Pour être opposable et éviter les recours, il faut un contrat de différenciation qui tienne compte des projets de la commune et de l’État. » Les friches sont coûteuses à aménager. Mais elles sont regardées avec envie par les communes qui n’en possèdent pas et qui pourront donc difficilement mener des projets sans artificialiser ou densifier.

Une observation fine des possibilités du territoire devient indispensable : dents creuses, immeubles à transformer, lotissements et zones d’activités économiques, parkings surdimensionnés, fonds de parcelle sous-utilisés, surélévation de bâtiments, toutes les opportunités doivent être recherchées. Et pour les aménagements dont le bilan d’artificialisation sera mauvais, il faudra compenser les pertes en biodiversité, d’où l’enjeu du recensement du foncier à renaturer pour compenser l’artificialisation.

L’agglomération de La Rochelle (17) amorce ainsi une politique d’acquisition de réserves foncières pour compenser ou renaturer. Un observatoire de l’artificialisation progressivement mis en place par le ministère de la Transition écologique aidera les collectivités dans ce recensement et dans le suivi de l’artificialisation (lire ci-contre), en complément des observatoires locaux existants.

Si les élus interrogés ne remettent pas en cause le bien-fondé de l’objectif du ZAN, ils souhaitent voir évoluer certaines modalités. Par exemple, Sylvain Robert (Lens) propose de ne réaliser le bilan de l’artificialisation qu’une fois durant le mandat ou, au moins, de le caler sur le temps du mandat, tous les trois ans. Il s’interroge également sur la pérennité du «fonds friches » dont l’apport est indispensable à l’équilibre économique des projets. Le gouvernement a toutefois annoncé, début janvier, une rallonge de 100 Me pour ré-abonder ce fonds, déjà doté de 650 Me, mis en place en 2020 dans le cadre du plan de relance pour accompagner les élus locaux dans leur politique de reconversion.
 

Accepter la densification

« Auparavant, une commune se développait en s’étendant sur les terres agricoles. C’est fini », constate Antoine Grau. Qu’en pensent les habitants ? Le concept de ZAN est encore loin de leurs préoccupations, mais ses conséquences pratiques commencent à se faire sentir. Le PLU-i de l’agglomération de La Rochelle a déjà considérablement réduit les surfaces urbanisables. Les projets additionnés des communes aboutissaient à une consommation de 1 500 ha de terre. Le PLU-i, adopté fin 2019, n’en octroie, «au forceps », plus que 450.

« Beaucoup de gens viennent ici pour une petite maison avec jardin. Mais aujourd’hui, on construit du petit collectif avec deux étages. Demain, ce sera 4-5 étages », constate Antoine Grau. Difficile pour les élus ruraux de l’agglomération d’accepter et de faire accepter la densification. Pourtant, les positions bougent. La prochaine modification du PLU-i ne prévoit plus que 70 ha pour les logements et les zones économiques…

L’échéance du Sraddet d’ici à 2024, et l’obligation de réduire de moitié la consommation de foncier s’impose aux élus. «Que cette obligation soit dans la loi nous permet d’être plus convaincant auprès des élus. Et la population commence à comprendre l’enjeu », estime le vice-président de l’agglomération de La Rochelle.

Même situation dans la communauté d’agglomération du Pays basque et ses 158 communes. «Il faut faire comprendre qu’il n’y aura plus de maison isolée, que les terrains de 1 500 m², c’est fini, sur la totalité de la communauté d’agglomération et même dans les communes rurales. C’est une évolution majeure », constate Bruno ­Carrère, vice-président chargé de la planification urbaine.

Au-delà, c’est le rapport même à la propriété qui devra évoluer. Pour l’AMF, le principal défi des élus consistera à prendre en compte la rareté du foncier et à maîtriser le coût qui en résultera, afin d’être en capacité, dans ce contexte tendu, de garantir la production de logements accessibles pour les habitants et l’accueil d’activités économiques.

Dans une circulaire du 7 janvier adressée aux préfets, le Premier ministre souligne que «l’objectif de réduction de la consommation d’espaces et l’atteinte de l’objectif du “ZAN” en 2050 ne signifient en aucun cas l’arrêt des projets d’aménagement ou de construction ». À suivre.
 

Artificialisation : visualisez vos données !
Les premières données portant sur la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) sont disponibles sur le ­portail https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr. Elles proviennent des fichiers fonciers de la Direction générale des finances publiques traitées par le Cerema et contiennent une occupation des sols à l’échelle de la parcelle.

Le portail vise à aider les territoires à répondre dans les dix ans à l’obligation de réduction de 50 % de la consommation de l’espace par rapport à la consommation réelle observée au cours des dix années précédentes.

Pour mesurer l’artificialisation, l’outil OCSGE (occupation du sol à grande échelle) est en cours de développement. Utilisant entre autres l’intelligence artificielle, il devrait couvrir tout le territoire d’ici à mars 2024. Il mettra à disposition des informations fines sur la couverture et l’usage du sol à une échelle infra-parcellaire. Son prototype est disponible sur le portail de l’artificialisation qui propose aussi un «Guide pratique pour limiter l’artificialisation des sols ».

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°398 - FÉVRIER 2022
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