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Maires de France

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07/11/2022 - NOVEMBRE 2022 n°406
104e Congrès de l'AMF 2022 AMF Décentralisation Entretien Finances Intercommunalité

David Lisnard : « La priorité reste la lutte contre la bureaucratie »

Un an après son élection à la présidence de l'AMF, David Lisnard, maire de Cannes (06) et président de la communauté d'agglomération Cannes Lérins, revient dans Maires de France sur ses priorités d'action. À quelques jours du 104e Congrès, il défend l'adoption d'une grande loi sur les libertés locales et exige l'indexation des dotations de l'État sur l'inflation.

Propos recueillis par Bénédicte Rallu et Xavier Brivet
© Victoria Viennet

• Quelles sont vos priorités d’action à la tête de l’AMF ?

Avec l’équipe que j’ai l’honneur de conduire, notre priorité constante est de garantir le « Pouvoir d’agir » des communes et de leurs intercommunalités, thème de notre 104e Congrès. Nous promouvons plus que jamais le projet d’une grande loi sur les libertés locales et la subsidiarité, avec l’impératif de renforcer l’autonomie financière et fiscale des collectivités.

Pour débureaucratiser ­l’action locale, nous avons créé un comité législatif et règlementaire qui participera à la simplification des textes. Les lois et règlements doivent être moins hors-sol.

Pour les Outre-mer, nous avons créé une délégation et intégré l’Association des communes et collectivités d’Outre-mer (ACCD’OM) au bureau de l’AMF pour travailler sur les problématiques des finances, du foncier, des institutions et de la sécurité. 
 

• Vous êtes un ardent militant de la simplification. La France progresse-t-elle en la matière ?

Non, et la priorité reste la lutte contre la bureaucratie. Il est urgent de simplifier le cadre juridico-financier régissant l’action des collectivités. L’inflation normative doit cesser. La bureaucratie s’est accentuée ­partout, les maires le constatent tous les jours, en dépit du travail remarquable que nous menons avec le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN).

Les élus sont confrontés à la dévitalisation financière et à la complication de leur action. Tout est plus long, on perd du temps, de l’argent et, parfois, on renonce à des projets ! Il faut trancher ce nœud gordien.

Le comité ­législatif et règlementaire de l’AMF proposera notamment des suppressions de textes et sera également force de propositions pragmatiques pour simplifier l’action locale. 
 

• À quoi attribuez-vous la « complication » de l’action locale ?

Au culte technocratique des grands ensembles et à la recentralisation. Elle se traduit par une somme de procédures a priori, par un empilement de schémas directeurs et d’injonctions contradictoires. Dans tous les domaines de l’action publique, on est passé d’un régime de liberté à un régime d’autorisations qui entrave la décision. Au lieu d’approfondir la décentralisation, l’État met en place un « droit à l’expérimentation ». Or, ceci n’est plus un pouvoir de décision puisqu’il faut l’autorisation du préfet pour agir ! 

La culture des appels à projets et à manifestation d’intérêt exclut les communes et EPCI qui n’ont pas d’ingénierie pour y répondre. Elle fait aussi passer ce qui relève des libertés locales sous les fourches caudines des politiques nationales. Or, on ne peut plus répondre à chaque préoccupation par une vision étatiste et verticale. Tant que l’on ne fera pas vivre le principe constitutionnel de subsidiarité, on continuera de compliquer l’action locale et d’amplifier la crise civique qui résulte en partie de l’impuissance publique. 


• Le chef de l’État affiche sa volonté de renforcer la décentralisation. Que proposez-vous ?

Je salue le changement de discours ­d’Emmanuel Macron ! L’AMF plaide depuis longtemps pour une vraie décentralisation avec des transferts de blocs de compétences aux collectivités dans les domaines du sport, de la culture, du médico-social, de la santé, de l’emploi, de l’environnement, avec de la responsabilité et des moyens en face. 

L’appel à la décentralisation, mais aussi à une nouvelle déconcentration des services de l’État, est un appel à la «débureaucratisation » et à la responsabilité locale, essentielle pour redresser le pays. Je propose au chef de l’État de travailler, dès janvier, à ce vaste projet qui ne saurait se limiter au logement, comme la cheffe du gouvernement l’a proposé initialement. Cela passera forcément par une loi sur les libertés locales avec son corollaire, une réforme de la fiscalité locale. 


• Quelle réforme de la fiscalité locale préconisez-vous ?

Un impôt principal par strate : un impôt résidentiel pour le bloc local et un impôt économique pour les EPCI. Il ne m’appartient pas de me prononcer pour les départements et les régions, mais, partout, il faut réinventer la responsabilité et la clarté fiscales. L’enjeu est aussi civique.


• L’État doit-il revoir son organisation territoriale ?

Oui, le chantier de la déconcentration doit être lancé parallèlement à celui de la décentralisation. Nous devons privilégier la performance publique et le sens collectif. La réouverture des sous-préfectures est positive. Il est nécessaire d’humaniser le service public. Il faut en finir avec la régionalisation des services qui ajoute confusion et contradictions, cela aboutit au blocage de projets locaux. Et privilégier l’échelon départemental.


• À mi-mandat, les maires ont-ils les moyens d’agir ? 

Les maires ont perdu leur autonomie fiscale, ils sont sous la dépendance financière d’un État surendetté qui rogne leurs dotations alors que ces concours sont un dû aux collectivités. Ces derniers doivent donc être indexés sur l’inflation.

Les communes et EPCI sont confrontés à une dynamique des charges mais pas des ressources. L’inflation et la facture énergétique, mais aussi la revalorisation du point d’indice qui coûtera 2,3 milliards d'euros aux employeurs publics en année pleine, rendent le bouclage de nos budgets très complexe.

Dans ce contexte, les collectivités ne peuvent plus être la seule variable d’ajustement des comptes publics alors qu’elles contribuent largement à améliorer ces comptes depuis 2014, à hauteur de 46 milliards d'euros, via la baisse puis le gel des ­dotations de l’État. 


• Quelles sont vos demandes ?

L’AMF rejette tout «contrat contraint », contraire à la libre administration des collectivités, par lequel l’État nous imposerait un encadrement des dépenses de fonctionnement, qui réduirait de 15 milliards d'euros notre capacité d’intervention d’ici à 2027, au détriment des services publics.

Les dotations doivent être indexées sur l’inflation. Sinon, l’État se livrera à une spoliation des moyens des ­collectivités. Le surcoût de cette indexation concernant le bloc local serait de 500 à 600 millions d'euros pour le gouvernement, alors que la compensation de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) représente 9,5 milliards d'euros… Les collectivités doivent enfin toutes bénéficier du tarif réglementé de l’énergie.  


• Que vous inspire la suppression de la CVAE ?

C’est une décision qui ajoute à notre «tutellisation financière ». L’AMF conseille plutôt à l’État de supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) qui est un véritable impôt de production à la différence de la CVAE. Cela améliorerait la compétitivité des entreprises et ne lui coûterait que 3,6 milliards d'euros.

Si l’État s’obstine à supprimer la CVAE, nous voulons un dégrèvement et avoir le temps de travailler à une meilleure contribution des entreprises qui permettrait de garder le lien fiscal avec les intercommunalités. On ne réindustrialisera pas la France si on coupe ce lien. 


• Prendrez-vous une initiative particulière pour défendre vos propositions ?

L’AMF a rédigé une motion qu’elle propose à tous ses adhérents. Parallèlement, les discussions se poursuivent avec le gouvernement. Il faut trouver un compromis acceptable : les bases des valeurs locatives doivent évoluer comme l’inflation pour préserver les recettes foncières des collectivités, les dotations doivent être stabilisées en euros constants. C’est la condition nécessaire pour préserver l’investissement local dans un contexte d’atonie de la croissance.

Car si les collectivités coupent leurs dépenses ­d’investissement, les entreprises auront moins de commandes, et je vous laisse ­imaginer les conséquences économiques et sociales sur le plan de l’emploi… Attention à l’effet récessionniste !


• Le ZAN (zéro artificialisation nette) va-t-il ralentir les projets de développement portés par les collectivités ?

Oui. Il menace aussi la réindustrialisation de notre pays. Au lieu de se contenter de fixer des objectifs à atteindre, en responsabilisant les élus avec des bilans d’étape, le législateur fixe à l’échelle régionale, au mètre carré près, des objectifs d’artificialisation sans adapter la fiscalité locale aux objectifs. 

L’État qui, en outre, a pris des décrets abusifs, se permettra de faire la leçon voire de sanctionner les élus au nom d’un paternalisme insupportable. Et on multipliera les dérogations auxquelles plus personne ne comprendra rien. Le gouvernement doit rapidement réécrire les décrets d’application de la loi. Nous avons saisi à dessein le Conseil d’État.    


• Intercommunalités de France demande que les EPCI deviennent de véritables collectivités territoriales. Qu’en pensez-vous ?

L’AMF est rigoureusement contre. C’est une ligne rouge. Cela ne respecterait pas le principe de subsidiarité. L’intercommunalité n’est pas la supracommunalité. 

Si les intercommunalités devenaient des ­collectivités, il y aurait un conflit de légitimité avec les communes. On ajouterait de la confusion à notre organisation institutionnelle. 


L’intercommunalité doit être choisie et résulter de la volonté des communes de travailler ensemble au-delà des limites communales. 


• Vous déplorez la fracture civique entre les élus et les administrés. Comment y remédier ?

La crise civique se traduit par des taux record d’abstention électorale, par des votes d’humeur, par des violences verbales et physiques contre les élus. Il y a une dégradation comportementale à tous les niveaux.

Cette crise résulte en partie de l’impuissance publique. 
Les mairies sont aussi assimilées à des guichets qui ouvriraient les droits à tous. Alors qu’elles sont, en fait, le dernier creuset républicain en proposant des services publics incarnés, de l’éducation artistique et culturelles, l’accès aux équipements sportifs, la solidarité locale, la requalification des espaces publics en promouvant le beau.

Tout ceci participe à recoudre le tissu social et civique. La cohésion du pays repartira de la somme des initiatives locales. 


• Quelles sont vos propositions pour régler les tensions sur la question des parrainages à l’élection présidentielle ? 

Il faut traiter ce sujet maintenant. Le statu quo ne peut pas continuer avec, à chaque présidentielle, cette tragi-comédie qui met une pression injuste sur les maires. 

Il y a plusieurs hypothèses : soit on crée un système de double parrainages – un parrainage de soutien et un autre «républicain » ; soit on mixe parrainages populaire et parrainages d’élus mais cela paraît compliqué ; soit on rétablit le strict anonymat du parrainage des maires sans publier une liste de 500 noms tirés au sort.

À titre personnel, je suis favorable à cette dernière option. Nous allons en parler au sein de l’AMF, nous prendrons une position et solliciterons le gouvernement ou le ­législateur. 
 

Quel est le rôle des AD de maires ?
« Les associations départementales (AD) de maires sont notre force sur le terrain, elles nous font remonter l’information et les expériences locales. L’AMF mène avec elles un travail en commun déterminant pour défendre le bloc local. Je m’implique beaucoup dans l’animation de ce réseau essentiel, avec de nombreux déplacements.

L’AMF n’est pas un syndicat de défense des communes : nous sommes des maires associés désireux de promouvoir les libertés locales et de participer à la prospérité du pays. L’AMF, au plan national, et les AD, à l’échelle locale, sont complémentaires.

Nous menons aussi des actions très fortes avec elles : l’AMF et les AD se sont fortement mobilisées dans le soutien à la population ukrainienne, en organisant notamment le plus grand convoi humanitaire avec la Protection civile. » 

 

Un groupe de travail sur les risques
« Quand survient une catastrophe, c’est le maire qui est en première ligne, personne d’autre, comme j’ai pu hélas le vivre à plusieurs reprises à Cannes. Tout le monde le connaît et se tourne vers lui. Mais beaucoup d’élus n’ont pas encore dû gérer ce type de situation. Il faut donc partager les expériences et sensibiliser tous les maires de France aux risques majeurs, expliquer comment gérer les premières minutes des crises, le déroulé des évènements et leurs conséquences, comment former la population tout au long de l’année à la gestion de ces risques. C’est ce que fera ce groupe de travail, via notamment des réunions, des vidéos et des documents que nous partagerons avec les associations départementales de maires. » 

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°406 - NOVEMBRE 2022
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