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Maires de France

Juridique
26/05/2025 MAI 2025 - n°434
Finances Fonction publique Votre mandat

Responsabilité financière : des risques contentieux accrus pour les élus

Le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics aboutit à la condamnation d'élus locaux. Maires de France rappelle les nouvelles règles et les risques encourus.

Par Danièle Lamarque et Pierrick Raude, cabinet Rivière Avocats Associés
© AdobeStock
L’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, qui a aboli la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, a réuni dans un même contentieux ordonnateurs et comptables, quel que soit leur niveau au sein de l’organisation depuis le 1er janvier 2023.

Sans qu’il y ait remise en cause du principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable, tous les gestionnaires publics sont susceptibles de voir mise en jeu leur responsabilité avec des conséquences personnelles et pécuniaires : en clair, l’obligation de payer une amende pour des fautes reconnues comme «graves » pour l’une des dix infractions du nouveau régime. Si l’ordonnance du 23 mars 2022 a réduit les cas possibles de mises en cause pour les exécutifs locaux, la jurisprudence de la Cour les concernant continue cependant de s’étoffer. Les élus doivent tenir compte de ces risques nouveaux.  
 

I - Les infractions du nouveau régime

Les infractions du nouveau régime s’inscrivent, avec quelques adaptations, dans la continuité de celles sanctionnées par l’ancienne Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), remplacée par une chambre du contentieux de la Cour des comptes et une cour d’appel financière.

Infractions financières génériques : infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ainsi qu’à la gestion des biens (violation des règles de la comptabilité publique, art. L131-9 du Code des juridictions financières - CJF) ; faute de gestion applicable aux organismes à caractère industriel et commercial (art. L131-10 du CJF).

Infractions spécifiques : échec à la procédure de mandatement d’office (art. L131-11 du CJF), avantage injustifié procuré à autrui ou à soi-même par intérêt personnel (art. L131-12 du CJF) ; non-respect des règles de contrôle budgétaire, pour l’État (art. L131- 13 du CJF) ; inexécution d’une décision de justice conduisant au prononcé d’une astreinte (art. L131-14 du CJF) ; gestion de fait (art. L131-15 du CJF).

Des infractions formelles comme l’absence de production des comptes ou le défaut de qualité de l’ordonnateur.  
 

II - De nouveaux risques contentieux pour les élus

Avec plus de vingt arrêts depuis sa mise en place au 1er janvier 2023, ce contentieux introduit une nouvelle forme de responsabilité devant la Cour des comptes, qui se cumule aux autres régimes de responsabilité devant le juge administratif ou le juge pénal.

L’activité importante du juge financier (la Cour des comptes), avec plus de 140 dossiers ouverts et plus de 20 condamnations, inquiète aujourd’hui les acteurs publics. Ce contentieux est, pour l’heure, très majoritairement alimenté par les contrôles des chambres régionales et territoriales des comptes, mais peut également émerger d’un élargissement des saisines et de l’ouverture, par la Cour des comptes, en 2022, d’une plateforme citoyenne de signalements permettant «à tout citoyen de signaler à la Cour des irrégularités ou des dysfonctionnements constatés dans la gestion publique » (https://signalement.ccomptes.fr).

Si les gestionnaires mis en cause, ordonnateurs et comptables, se situent à différents niveaux hiérarchiques, on peut noter que des élus, auparavant peu mis en cause par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), ont été à plusieurs reprises mis en cause et sanctionnés (20 % des condamnations). ­  
 

III - Les sanctions concernant explicitement les élus

• Les maires peuvent être mis en cause dans des cas d’inexécution de décisions de justice condamnant au paiement d’une somme d’argent ou à des astreintes (art. L.131-14-1° et 2° du CJF) : le maire d’Ajaccio a ainsi été sanctionné de 10 000 € d’amende pour non-exécution de 11 décisions de condamnation de la collectivité à une astreinte prononcée par le juge administratif (31 mai 2023).

L’infraction de gestion de fait, qui avait à peu près disparu de la jurisprudence, fait son retour (art. L.131-15 du CJF). Elle sanctionne l’ordonnateur qui s’est immiscé dans la fonction du comptable (cne de Felleries, 10 octobre 2024) : les recettes issues de la vente par le musée des Bois Jolis d’objets ont été encaissées, entre avril 2019 et novembre 2020, par des membres de l’association «Les amis de Felleries et des Bois Jolis », avant de faire l’objet d’un reversement à la commune sous forme de «dons », après déduction des coûts supportés par l’association. Or, le maniement de fonds publics est du ressort du comptable ou d’un régisseur régulièrement constitué. Le maire a été condamné à une amende de 3 000 € .

L’infraction la plus dangereuse, qui a déjà frappé des élus à quatre reprises, concerne l’octroi d’un avantage injustifié à soi-même ou à autrui (lire ci-dessous), par intérêt direct ou indirect, lorsque le paiement est réalisé sur réquisition du comptable public qui avait suspendu un paiement qu’il jugeait irrégulier (art. L.131-12 du CJF). Le président du département de la Haute-Saône a été condamné (3 mai 2024) pour l’octroi d’une indemnité transactionnelle à son ancienne directrice de cabinet (9 000 € d’amende) ; deux maires et un président d’agglomération (communes de Richwiller, 16 décembre 2024, et de Bantzenheim, 14 novembre 2024 ; Saint Louis agglomération, 24 mars 2025) ont été condamnés pour l’attribution d’indemnités irrégulières à des agents à, respectivement, des amendes de 1 000 €, 5 000 € et 3 000 €. Dans l’affaire Richwiller, le maire a réquisitionné le comptable pour payer une prime de fin d’année. Selon le juge, le maire a mis en avant un intérêt moral personnel (éviter les tensions avec les agents de la commune qui pouvaient considérer cette prime comme un droit acquis) qui a prévalu sur l’intérêt général. Par là, il a octroyé aux agents de la commune un avantage pécuniaire injustifié.

À noter : un élu peut aussi être mis en cause pour des infractions commises dans des fonctions qui ne sont pas «l’accessoire obligé » de sa fonction principale (une fonction directement liée au mandat, comme la présidence du CCAS) : par exemple, la présidence d’une société d’économie mixte (SEM) ou d’une société publique locale (SPL) (art. L.131-2, dernier alinéa du CJF).  
 

IV - Les premiers enseignements de la réforme

L’esprit de la réforme. Ces infractions, qui concernent potentiellement les élus, doivent être replacées dans l’esprit de la réforme qui vise à créer un espace de responsabilité infra pénal et donc à protéger les élus de la transmission au juge judiciaire de fautes de gestion susceptibles de relever, par exemple, de la qualification de favoritisme dans la commande publique.

Renforcer la sécurité juridique des actes. Dans des domaines particulièrement sensibles, comme l’octroi d’indemnité ou l’exécution des marchés, un dialogue constructif entre administration et élus doit permettre d’identifier l’ensemble des solutions envisageables permettant d’allier, d’une part, les impacts politiques, sociaux, économiques d’une décision, et, d’autre part, leur sécurité juridique. Par exemple, nous conseillerons aux élus d’intégrer une prime de fin d’année dans le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) plutôt que de réquisitionner le comptable lorsque cette prime comporte certaines fragilités.

La protection relative des agents. Un élu peut exonérer un agent de sa responsabilité s’il a délivré un ordre écrit préalable ou si la collectivité a pris une délibération préalable en lien direct avec l’affaire (art. L.131-6 du CJF). Cette possibilité montre l’importance du lien de confiance qui unit les élus à l’administration. Un appui qui a, cependant, fait récemment l’objet d’une limitation drastique avec le refus du Conseil d’État de reconnaître la protection fonctionnelle aux agents mis en cause dans un contentieux devant la Cour des comptes (lire ci-dessous). Le nombre d’affaires en cause vient aujourd’hui fortement inquiéter les gestionnaires publics qui sont exposés à un nouveau risque personnel et pécuniaire, et se posent d’importantes questions sur les moyens leur permettant de se défendre.

Dès lors, les solutions à envisager peuvent être de plusieurs ordres :

• étudier les possibilités permettant de faire entrer la responsabilité des gestionnaires publics dans le champ couvert par la protection fonctionnelle ;

• s’assurer au bon niveau afin de faire prendre en charge les frais de justice (des agents et des élus) par un mécanisme de solidarité ;

• généraliser les démarches de cartographie des risques et de renforcement du contrôle interne, reconnues comme un facteur efficace de sécurisation des procédures, par les managers locaux avec le soutien des élus. Ceux-ci sont donc appelés à être parties prenantes d’une nouvelle culture de gestion.
 

L’octroi d’un avantage injustifié  
L’interprétation par le juge de l’avantage injustifié apparaît très large et expose particulièrement les élus. Ce délit est désormais sanctionné systématiquement. S’agissant de l’octroi d’indemnités irrégulières par l’élu à des agents, le juge considère que la crainte de tensions sociales constitue l’intérêt direct, qui a prévalu sur l’intérêt général, et qu’après plusieurs mandats, un maire est suffisamment expérimenté pour comprendre ce qui est irrégulier ou pas.
Dans la gestion courante, les risques d’accorder un avantage injustifié, à soi-même ou à autrui, sont nombreux : indemnités irrégulières (prime de fin d’année, par ex.), logement gratuit, prise en charge de frais.

 

Pas de protection fonctionnelle pour les agents publics 
Le Conseil d’État (29 janv. 2025, n° 497840) a refusé d’accorder la protection fonctionnelle de leur collectivité employeur aux agents dont la responsabilité est mise en cause devant la Cour des comptes. En effet, son octroi n’est pas prévu par les dispositions légales ou le principe général du droit reconnu par le Conseil d’État.
Les poursuites devant la Cour des comptes ne peuvent être assimilées à des «attaques » au sens de l’article L.134-5 ou à des «poursuites pénales » au sens de l’article L.134-4 du Code général de la fonction publique (CGFP), dès lors que les sanctions infligées par la Cour des comptes n’ont pas le caractère d’une sanction pénale. Le juge précise qu’il est toujours «loisible à l’administration d’apporter un soutien à l’un de ses agents notamment par un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de sa défense ».
Dans une circulaire n° 6478-SG du 17 avril 2025, le Premier ministre précise les modalités de ce soutien dans la fonction publique de l’État. Cette possibilité pose cependant de nombreuses questions, notamment lorsque plusieurs agents ou élus sont mis en cause dans une même affaire. L’appui juridique apporté par l’administration (le service juridique) ne peut alors conduire à défendre des intérêts de chacun des mis en cause, intérêts qui vont rapidement se révéler divergents.

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

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